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de révolution, que, lorsqu’on croyait qu’il ne se prêterait pas à cette besogne, alors on songeait à le traiter révolutionnairement, c’est-à-dire à l’abolir ou plutôt à le confisquer au profit de Paris, si bien qu’au lieu de faire voter tous les Français dans toute la France, il n’y aurait plus que Paris qui voterait pour toute la France ; on a peine à croire à de pareilles audaces. « Si les électeurs, dit le Bulletin du 15 avril, ne font pas triompher la vérité sociale…, il n’y aurait plus alors qu’une voie de salut pour le peuple qui a fait les barricades : ce serait de manifester une seconde fois sa volonté et d’ajourner les décisions d’une fausse représentation nationale. Ce remède extrême, déplorable, la France voudra-t-elle forcer Paris à y recourir ?… Paris se regarde avec raison comme le mandataire de toute la population du territoire national… Le peuple de Paris se croit et se déclare solidaire des intérêts de toute la nation. » C’est là un système électoral commode et expéditif ; Paris vote pour la France, Paris est le mandataire de la France. Ainsi, plus d’élections et plus même d’assemblée nationale ; le peuple de Paris remplace tout cela.

Nous avons cité ces différens passages des circulaires de M. Ledru-Rollin et des Bulletins de la république, afin qu’on sache bien comment est né le suffrage universel, dans quelle intention il a été organisé comme nous le voyons encore, ce qu’on en attendait, et le cas qu’on était disposé à en faire aussitôt qu’il n’accepterait pas aussi docilement qu’on l’espérait la mission révolutionnaire qu’on lui donnait. Dans la pensée du gouvernement provisoire, le suffrage universel était un instrument révolutionnaire. Et de quelle révolution devait-il être l’instrument ? Nous le savons aussi. Qu’y a-t-il d’extraordinaire maintenant que le parti modéré veuille faire du suffrage universel non plus un instrument de révolution, mais un instrument de paix et de stabilité ? Chaque parti fait les lois à son image. Nous ne voulons pas la révolution socialiste que le suffrage universel était destiné à nous donner. Nous devons donc modifier l’organisation de ce suffrage ; mais nous ne devons pas oublier non plus que, quoique organisé pour produire la révolution socialiste, le suffrage universel ne l’a pas produite, et qu’il a valu mieux que ses auteurs. C’est précisément pour cela que la réforme électorale a pour but, non pas de détruire le suffrage universel, mais seulement d’en changer l’organisation, d’en favoriser, si nous pouvons parler ainsi, les bons penchans, prouvés par sa résistance aux intentions de ses auteurs, et d’en corriger les mauvais, prouvés aussi par le succès, à Paris surtout, des candidatures socialistes.

Dans les élections parisiennes de cette année, le suffrage universel a semblé revenir à ses origines et à ses causes. Il a été révolutionnaire comme les circulaires de M. Ledru-Rollin voulaient qu’il le flat partout en France, et il a justifié la confiance que le Bulletin de la république avait dans le peuple de Paris, quand il proposait d’en faire le mandataire et le représentant unique de la France. Aussi serions-nous disposés à croire que le suffrage universel des provinces et des campagnes se trouvera fortifié et affermi par la nouvelle réforme électorale. Le suffrage universel de Paris s’en trouvera seul affaibli : franchement, où est le mal ? On est plus domicilié en province qu’à Paris ; cela veut dire qu’il y a plus d’esprit de suite et de stabilité en province qu’à Paris. Il est donc de bonne politique de favoriser dans les élections les provinces contre Paris.