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aligné, entassé quelques pierres, ces barbares essais de pavage sont devenus autant d’obstacles, de défilés impraticables où le piéton et le cavalier ont grand soin de ne jamais se hasarder. Aussi peut-on dire à la lettre que, pour interdire le passage en certains endroits, les ingénieurs turcs ne sauraient employer de moyen plus efficace que d’y construire une route. Au reste, c’est une tâche qu’ils n’entreprennent que fort rarement, car, excepté les grandes lignes de poste ou de caravane indiquées par la nature, il n’existe en Asie Mineure d’autres voies de communication que les rares sentiers pratiqués par les passans, qui savent mettre à profit les accidens du terrain. Quant aux ingénieurs des ponts-et-chaussées, ce sont des fonctionnaires à peu près inconnus dans toute l’Anatolie. Il y est encore moins question d’ingénieurs hydrographes : la Providence n’a accordé à l’Asie Mineure qu’un petit nombre de voies de communication fluviales, et l’habitude est dans ce pays de ne mettre la main à l’œuvre que quand la nature a fait la moitié de la besogne.

Aucune des rivières qui traversent l’Asie Mineure ne présente des conditions favorables à la navigation, aucune, pas même le Kizil-Ermak, le plus considérable de tous les cours d’eau qui traversent la péninsule, et que j’ai remonté jusqu’à ses sources principales, situées à trois jours de marche à l’est de. Sivas. La canalisation du Kizil-Ermak serait, il faut le reconnaître, une opération très dispendieuse et très difficile. On aurait à creuser le lit à plusieurs mètres de profondeur, et sur un espace de plusieurs centaines de kilomètres. Les lacs de l’Asie Mineure, à l’exception peut-être du pittoresque lac d’Éguerdir, sont également impropres à toute autre navigation que celle de barques à faible tirant d’eau. Plusieurs de ces lacs subissent d’ailleurs, selon les saisons, de remarquables variations de niveau, et j’ai même eu l’occasion de faire à cet égard quelques observations intéressantes. Lorsqu’en 1846, me trouvant dans la Pisidie, j’explorais la belle vallée située entre le Kesterdagh et le Kétérandagh, j’y cherchai vainement un lac marqué sur la carte de l’état-major de Prusse sous le nom de Kestelgöl. J’allai prendre aussitôt des informations au petit village de Kestel, qui, suivant la même carte, doit être situé à quinze minutes du lac. Là, j’appris que depuis près de cinq ans les eaux du Kestelgöl s’étaient retirées, et que la plaine marécageuse qui s’étendait devant nous était l’ancien bassin de ce lac. L’année suivante, je pus observer sur une plus grande échelle un autre phénomène du même genre. Après avoir visité, à trois journées à l’ouest de Konia, le beau lac de Beychir (Beychi göl), l’un des plus considérables de l’Asie Mineure, je descendis la vallée qui s’étend à l’extrémité sud-est du Beychirgol. Je me dirigeai vers un autre lac situé au sud-sud-est du Beychirgol, indiqué déjà par Strabon sous le nom de Trogitis, et