Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/893

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous ne voyez plus une seule saya dans les rues : les modes de Paris ont repris tous leurs droits, et bientôt, je le crains, elles auront tout-à-fait détrôné la saya elle-même. Déjà la haute classe l’a à peu près abandonnée, et on peut prévoir le jour où il sera de mauvais goût de porter dans les rues de Lima le costume national.

Parmi les fêtes religieuses du Pérou, la principale est celle de sainte Rose, aujourd’hui la patronne de Lima, depuis que le grand San-Jago est tombé avec le pavillon espagnol qu’il n’a pas su défendre. Par cette fête, on peut juger de toutes les autres, qui n’en sont guère que la répétition plus ou moins pâle. Dès le matin du jour marqué pour cette solennité, les cloches de toutes les églises commencent le plus épouvantable carillon qui ait jamais déchiré un tympan catholique. Les cloches à Lima n’ont rien de cette harmonie grave et pénétrante qui, dans nos pays, prête à leur voix un charme si puissant. L’habitude est d’agiter le battant de la cloche contre les parois, au lieu de la mettre en branle. Ce sont d’ordinaire de petits nègres qui se chargent de ce soin ; à les voir alors suspendus et grimaçant sur la balustrade des vieilles tours, on dirait autant de démons chargés de torturer l’instrument religieux, qui rend, sous leurs coups redoublés, les plus étranges gémissemens. Ce singulier carillon n’en charme pas moins l’oreille peu difficile des Liméniens ; c’est l’annonce d’une grande fête, comme il s’en renouvelle si souvent au Pérou, et il n’en faut pas davantage pour les réjouir. Déjà les autels sont parés, les images des saints dressées sur leurs brancards et couvertes de leurs plus riches ornemens ; les reliques vénérées de sainte Rose sont placées sur un magnifique coussin de velours. La foule encombre l’église où les prêtres célèbrent le service divin. Bientôt les portes s’ouvrent. Une nuée de pétards et un triple carillon annoncent le départ de la procession à toute la ville. C’est vraiment un curieux et saisissant spectacle que celui d’une grande cérémonie religieuse à Lima. Dans les rues semées de fleurs, entre les murailles des maisons cachées sous de riches tentures, s’avance à pas lents le splendide cortége, salué par mille têtes jeunes et rieuses qui se penchent à tous les balcons. Deux haies de soldats ont peine à contenir la foule. Une longue file de moines portant des cierges ouvre la marche, et il faut voir avec quelle grace mutine les tapadas[1] lancent aux révérends pères les plus folles provocations de la parole ou du regard. — Ouah[2] ! votre seigneurie ne sait-elle donc pas tenir son cierge ? — Eh ! Picaro, il y a long-temps qu’on ne vous a vu ; mais on sait où vous étiez. — Et quelquefois le moine, interrompant sa psalmodie, entre tout simplement en conversation avec la tapada ; s’il est jeune, il rit et cause

  1. Tapadas, littéralement cachées. On désigne ainsi les femmes dont le visage est voilé par le manto.
  2. Interjection favorite des Liméniennes.