Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/895

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans contredit celle des Amancaës ; elle résume en elle tout ce que recherchent les Liméniens dans leurs réjouissances publiques, le bruit, le mouvement, la danse en plein air. Comme pour la favoriser, le ciel, ordinairement si pur et si chaud du Pérou, se voile lui-même d’une légère brume. Les montagnes, nues et désolées pendant l’été, se revêtent en quelques jours d’un manteau de verdure. L’aspect du pays change comme sous le coup d’une baguette magique. C’est que la pluie serait, pour ces côtes arides, comme une fée bienfaisante, et la terre, desséchée par plusieurs mois de chaleur, semble aspirer avec reconnaissance les gouttes humides qui tombent de ce ciel éclatant, dont le condor seul tache çà et là l’inaltérable azur.

Le site choisi pour la fête des Amancaës est aussi l’un des plus pittoresques qu’on puisse trouver dans toute l’Amérique. À deux ou trois kilomètres de la ville, dans une anfractuosité formée par les collines qui marquent en quelque sorte le premier gradin des Cordilières, s’étend une pelouse verdoyante, où pendant les mois de juin et de juillet les rosées nocturnes font éclore une multitude de fleurs aux pétales d’or, aux calices ouverts comme ceux du lis, et que l’on connaît dans le pays sous le nom d’amancaës. On dirait alors un immense écrin où quelque main prodigue aurait jeté à plaisir des milliers de joyaux. Combien de fois, le soir, après avoir lentement gravi la pente douce qui aboutit à ce plateau, ai-je arrêté mon cheval sur le revers du coteau pour contempler la ville dont le vaste panorama se déroulait à mes pieds ! C’étaient d’abord des champs, des bosquets de bananiers aux fruits pressés et retombant comme un poids trop lourd, puis des alamedas plantées de saules, des bois de citronniers et d’orangers dessinant autour de la Ville des Rois toute une fraîche et odorante ceinture. Quelquefois un dernier souffle de la brise de mer, passant au-dessus des fleurs et des feuillages, m’apportait d’enivrans aromes qui se mêlaient aux sauvages émanations venues des Cordilières. Sur le ciel assombri par la nuit se dessinaient, comme de blancs fantômes, les tours jumelles de la cathédrale, les clochers de San-Pedro, de Saint-Augustin, et des mille couvens, des mille églises de Lima. À ma droite, la mer Pacifique, ce bel océan bleu qu’aucune tempête n’agite jamais, déroulait ses profondeurs immenses, et les nombreux navires mouillés dans e port du Callao se balançaient doucement aux derniers mouvemens de la vague. Entre Lima et le Callao, de grands tumulus gris, ruines de temples ou de tombeaux indiens, rappelaient les splendeurs évanouies de l’époque des Incas. Le grand cap nommé Morro-Solar apparaissait à l’extrême limite de l’horizon et formait le fond du tableau. Dans ce paysage, dont la mer était l’encadrement, dont Lima marquait le centre, il y avait ce mélange inexprimable de grace et de majesté qui est propre à. la nature américaine. Le ciel des tropiques a de ces heures