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bourgs et dans ses haciendas[1] des habitans plus heureux ; mais ce sont encore des Indiens, qui ont perdu dans de nombreux croisemens un peu de leur originalité première, et se rapprochent davantage des populations à demi espagnoles de la côte. Cette élite des Indiens de la sierra compte parmi ses principales richesses les nombreux troupeaux qui errent sur le plateau du Collao ; c’est elle qui possède et qui cultive les rares vallées de ses montagnes ; c’est elle qui fournit aux négocians de la côte la majeure partie des produits du pays, que ces derniers exportent ensuite en Europe ; c’est parmi elle enfin que se trouve peut-être l’un des germes les plus féconds des forces vitales appelées à se développer un jour au Pérou.

La vie que mènent ces Indiens plus intelligens, plus civilisés que les autres, est encore très dure et très pénible. On comprend combien les ressources d’une petite ville des Cordilières sont bornées. Pour y suppléer sans doute et faciliter, en même temps des transactions de plus en plus fréquentes avec les négocians, européens, on a institué une grande foire qui a lieu tous les ans, à l’époque de la Pentecôte, au milieu même de la sierra. À quelques lieues du grand lac de Titicaca, qui dort comme une mer intérieure entre le plateau du Collao et les montagnes de la Bolivie, s’élève le petit, village de Vilque. C’est là que se tient cette foire, la plus considérable du Pérou, peut-être même de l’Amérique du Sud, et où affluent les populations, non-seulement des départemens voisins, Aréquipa, Moquegua, le Cusco, mais encore de la Bolivie et des provinces argentines, particulièrement du Tucuman. Pendant quinze jours, Vilque, qui renferme à peine quelques centaines d’habitans, voit sa population s’élever jusqu’à dix ou douze mille ames. Aussi les maisons sont-elles trop étroites pour contenir la foule des voyageurs. Les uns se répandent dans les environs ; ils vont chercher dans les chacras (fermes) quelque gîte pour la nuit ; les autres s’enveloppent dans leurs punchos, et dorment étendus au seuil des portes, au coin des rues, au milieu même de la place publique. Il n’y a pas dans l’intérieur de l’Amérique du Sud d’hôtel où l’on puisse descendre ; mais à Vilque, à l’époque de la foire, les plus vastes hôtels ne suffiraient pas à contenir la population nomade qui se presse dans cet humble village. J’avais heureusement pris mes précautions ; je savais qu’on doit se munir, quand on voyage au Pérou, de lettres d’introduction pour tous les endroits où l’on doit s’arrêter. On trouve alors partout la plus franche, la plus gracieuse hospitalité. Il est rare d’ailleurs qu’on invoque en vain cette cordiale hospitalité péruvienne. Vous arrivez, vous êtes étranger, cela suffit ; toutes les maisons vous sont ouvertes

  1. Les haciendas sont les terres cultivées. On appelle haciendo le propriétaire qui exploite lui-même sa terre.