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que la population de cette ville est composée pour un tiers d’Irlandais sans ressources, attirés par la perspective de ce salaire qui ne suffit pas à l’ouvrier anglais, et qui leur parait une aisance relative. Les bateaux à vapeur qui traversent sans cesse le canal Saint-George les transportent pour un ou deux shillings, et les jettent incessamment par milliers sur la côte anglaise. Qu’un socialiste nous dise comment remédier aux résultats inévitables d’une semblable concurrence ! M. Ledru-Rollin insiste avec quelque complaisance sur les déclarations de quelques ouvriers qui prétendent qu’une augmentation insignifiante pour le consommateur sur le prix de la marchandise leur vaudrait un salaire suffisant. M. Ledru-Rollin est-il d’avis de fixer, par voie législative, un minimum de salaire, ce qui ne se pourrait faire sans fixer en même temps au profit des marchands un prix minimum de vente ? Est-il d’avis de rendre ainsi l’état seul arbitre de toutes les transactions commerciales, et d’établir un système d’expertise universelle, comme le rêvaient les fondateurs de cette société secrète découverte récemment la Némésis ?

Y a-t-il dans de tels faits rien qui démontre la ruine prochaine de Londres et de l’Angleterre ? Et faut-il ranger aussi parmi ces tristes augures les souffrances des tisseurs de soie de Spitalfields ? Mais ces souffrances ne sont pas aussi nouvelles qu’on veut bien le dire. Voilà soixante ans qu’elles reviennent périodiquement ; elles ne peuvent donc être invoquées comme une preuve de décadence. L’industrie de la soie est au contraire en progrès en Angleterre, puisqu’elle exporte ses produits jusqu’en France. Dans les années 1818 et 1819, pour ne pas remonter plus haut, le parlement anglais fut assiégé de pétitions par les tisseurs de Spitalfields et de Coventry, qui dénonçaient « l’industrie de la soie comme sérieusement menacée en Angleterre. » Une de ces pétitions établissait que les ouvriers tisseurs, après avoir vu leur salaire à 30 et même à 40 shillings par semaine, étaient alors incapables d’en gagner plus de 10 ou 11. La détresse des tisseurs de Londres n’est ni récente ni difficile à expliquer ; elle provient de la concurrence que leur font les tisseurs de Birmingham et ceux des comtés agricoles, qui sont plus robustes que les tisseurs de Londres et qui vivent à meilleur marché. Au lieu de cinquante et quelques manufactures de soie qui existaient hors de Londres et de Coventry en 1820, on en compte aujourd’hui au moins quatre cents. Des recherches persévérantes ont réussi à appliquer les machines et même la vapeur à quelques-unes des opérations du tissage. Enfin, en vertu de la même loi économique que nous avons signalée, les tisseurs subissent aujourd’hui la concurrence de leurs femmes et de leurs enfans. La proportion des ouvriers du sexe féminin employés au tissage de la soie dans les manufactures varie, suivant les étoffes, de 60 à 80 pour 100. Si on confond les deux