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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/1012

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qu’au détriment du bien-être des producteurs. La détresse croissante des classes agricoles en Angleterre est un fait incontestable.

Ce n’est pas qu’il faille croire sur parole les orateurs tories. La crédulité intéressée du socialisme s’autorise de leurs plaintes pour conclure, sans plus ample examen, que l’agriculture anglaise est perdue, et que d’ici à quelques années le sol sera en friche. Depuis près d’un siècle, les propriétaires du sol et les fermiers n’ont jamais manqué de se déclarer, une fois au moins tous les dix ans, complètement ruinés, sans que leurs prédictions se soient réalisées. Il en sera de même cette fois encore. Si les fermiers anglais, malgré leur industrie et leur savoir, ne peuvent, dans les conditions actuelles, obtenir de leurs produits au prix rémunérateur, il faudra bien que les propriétaires diminuent les fermages. Ce n’est point là un fait sans exemple. De 1790 à 1815, la location de l’acre de terre, dans les comtés, de 8 à 10 schillings, s’était élevée à 30 et 35 schillings et même au-dessus pour les meilleurs sols ; dans les quinze années suivantes, elle est presque partout redescendue en moyenne à 25 shillings, ce qui fait encore un accroissement de plus de 100 pour 100. L’abolition des lois sur les céréales aura sans doute pour conséquence définitive de faire tomber la moyenne à 18 shillings. Ce sera sans doute un rude coup pour l’aristocratie anglaise, et nous nous en sommes expliqué ailleurs[1] ; mais il n’y aura pas un seul acre de terre mis hors de culture.

Il n’est pas moins ridicule d’appréhender la famine pour l’Angleterre. Quand on répète si complaisamment que l’Angleterre n’est pas en état de subvenir à sa consommation intérieure, on oublie que jusqu’en 1790 l’Angleterre a exporté du blé, et depuis cette époque jusqu’à nos jours, si l’on excepte les trois dernières années, où la récolte a manqué en Angleterre pendant qu’elle était excellente aux États-Unis, en France et en Allemagne, la moyenne des importions de blé ne s’élève pas à six cent mille quarters par an, ce qui ne donne pas tout-à-fait dix livres de pain par tête. Les fermiers anglais ne trouvent à se défaire avantageusement que des premières qualités de froment, en tête desquelles sont ce qu’ils appellent les blés rouges de Norfolk et de Suffolk, et toutes les terres qui ne produisent que des blés d’un rendement moindre et d’une qualité inférieure ont été converties en prairies ; mais le jour où l’Angleterre se trouverait réduite à ses propres ressources ; et où la production du blé redeviendrait une spéculation avantageuse, on rendrait bientôt à la culture des céréales les terres affectées aujourd’hui à d’autres usages.

Le véritable danger pour l’Angleterre, c’est l’appauvrissement progressif

  1. Conséquences politiques des Réformes commerciales de sir Robert Peel dans la Revue du 1er février 1850.