Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/1033

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


IV. – POLICHINELLE.

On a dit souvent et j’ai répété, après beaucoup d’autres[1], que Polichinelle descend en ligne droite de Maccus, personnage grotesque des Atellanes, natif d’Acerra, sur le territoire osque, dont le nom ancien signifie, comme celui du Calabrais Pulcinella, son héritier, un poussin, un cochet, quoiqu’à vrai dire les figurines antiques qui nous ont transmis les traits du Maccus de Campanie annoncent beaucoup moins un cochet qu’un vrai coq, et même un coq d’un âge très mûr. Voici, je crois, ce qu’il y a d’admissible dans cette descendance : le Pulcinella de Naples, grand garçon aussi droit qu’un autre, bruyant, alerte, sensuel, au long nez crochu, au demi-masque noir, au bonnet gris et pyramidal, à la camisole blanche, sans fraise, au large pantalon blanc plissé et serré à la ceinture par une cordelière à laquelle pend une clochette, Pulcinella, dis-je, peut bien, à la rigueur, rappeler le Mimus Albus et de très loin le Maccus antique[2] ; mais il n’a, sauf son nez en bec et son nom d’oiseau, aucune parenté ni ressemblance avec notre Polichinelle. Pour un trait de ressemblance, on signalerait dix contrastes. Polichinelle, tel que nous l’avons fait ou refait, présente au plus haut degré l’humeur et la physionomie gauloises. Je dirai même, pour ne rien cacher de ma pensée, que, sous l’exagération obligée d’une loyale caricature, Polichinelle laisse percer le type populaire, je n’ose dire d’Henri IV, mais tout au moins de l’officier gascon imitant les allures du maître dans la salle des gardes du château de Saint-Germain ou du vieux Louvre. Quant à la bosse, Guillaume Bouchet vient de nous apprendre qu’elle a été de temps immémorial l’apanage du badin ès-farces de France. On appelait, au XIIIe siècle, Adam de la Halle le bossu d’Arras ; non pas qu’il fût bossu, mais à cause de sa verve railleuse :

On m’appelle bochu, mais je ne le suis mie[3].

Et, quant à la seconde bosse, qui brille de surcroît sous le clinquant de son pourpoint à paillettes, elle rappelle la cuirasse luisante et bombée des gens de guerre et les ventres à la poulaine alors à la mode, et qui imitaient la courbure de la cuirasse[4]. Le chapeau même de Polichinelle (je ne parle pas de son tricorne moderne, mais du feutre à bords

  1. Origines du théâtre moderne ; introduct., p. 47 et 48.
  2. C’était l’avis de son plus spirituel généalogiste, le petit abbé Galiani, et aussi de M. Arnault. Voyez Souvenirs d’un Sexagénaire, p. 195 et 397.
  3. Voyez la Chanson du roi de Sicile, vers 69, dans la Collection des chroniques nationales de M. Buchon, t. VIII, p. 25.
  4. Notez que les bosses de Polichinelle étaient bien moins proéminentes qu’aujourd’hui, comme le prouve la gravure du tome V du Théâtre de la foire, p. 47, qui date de 1722.