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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/1054

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Eux-mêmes nous apprennent leur résolution désespérée dans un court avertissement qu’ils placèrent au-devant de leur coup d’essai en ce genre, l’Ombre du cocher poète « Plus animés, disent-ils, par la vengeance que par l’intérêt, les auteurs de l’Opéra-Comique (c’est ainsi qu’ils se qualifient) s’avisèrent d’acheter une douzaine de marionnettes et de louer une loge, où, comme des assiégés dans leurs derniers retranchemens, ils rendirent encore leurs armes redoutables. Leurs ennemis (les trois grands théâtres), poussés d’une nouvelle fureur, firent de nouveaux efforts contre Polichinelle chantant ; mais ils n’en sortirent pas à leur honneur ([1]. » En effet, ayant pris à l’ouverture de la foire Saint-Germain des arrangemens avec La Place, directeur des Marionnettes étrangères, ils firent jouer sur cette petite scène trois pièces à ariettes qu’ils avaient destinées à l’Opéra-Comique de Francisque, et qui attirèrent tout Paris chez La Place[2]. Ces trois ouvrages étaient l’Ombre du cocher poète, qui servait de prologue, le Rémouleur d’amour, en un acte et en vers, et Pierrot-Romulus ou le Ravisseur poli, parodie en vers du Romulus de La Motte. Je lis dans une lettre inédite de l’abbé Chérier, écrite en 1731, à l’occasion d’un autre succès de marionnettes « Le Pierrot-Romulus fit une fortune immense ; on le jouait depuis dix heures du matin jusqu’à deux heures après minuit[3]. » Le régent voulut s’en donner le plaisir, et se fit représenter ce spectacle passé deux heures du matin. Mathieu Marais raconte dans son Journal (16 février 1722) que les comédiens français, blessés de cette critique, voulurent faire taire Polichinelle. Baron, qui, malgré son âge, était fort applaudi dans le rôle de Romulus, fit une noble harangue à M. de la Vrillière. Le compère de Polichinelle, qui avait été appelé, s’en tira, comme toujours, par une polissonnerie : « Il n’avait point, disait-il, l’éloquence nécessaire pour répondre à un aussi beau discours, et il ne dirait que deux mots : depuis plus de cinq cents ans (il faisait ainsi remonter le théâtre des marionnettes au XIIIe siècle), Polichinelle était en possession de parler et de p…r ; il demandait d’être conservé dans ce double privilège, ce qui fut reconnu de toute justice ; les comédiens et Baron lui-même ne purent que rire de ce burlesque plaidoyer avec le reste de l’auditoire[4]. »

Cependant le privilège des marionnettes était soumis, à de très gênantes restrictions, comme nous l’apprend l’abbé Chérier dans la lettre

  1. Théâtre de la foire, tome V, p. 47.
  2. Quand Lesage se vouait ainsi aux marionnettes, il avait déjà, depuis onze ans, donné, Turcaret à la Comédie-Française, et publié, depuis sept ans, les deux premiers volumes de Gil Blas. Il avait sur le métier le tome troisième, le plus distingué de tous, qui parut en 1724.
  3. Voyez Théâtre inédit de la foire, Soleinne, no 3399. Cette lettre est placée à la suite de la petite pièce intitulée Polichinelle à la guinguette de Vaugirard.
  4. Revue Rétrospective, 2e série, tome VIII, p. 162 et 163.