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que nous venons de citer « Il n’est, dit-il, permis a Polichinelle de jouer des comédies qu’à la charge de les représenter dans son idiome, lui est celui du sifflet-pratique… Il faut encore qu’il se renferme dans son institution., qui est d’avoir sur son théâtre un voisin ou confrère qui l’interroge par demandes, et à qui Polichinelle répond avec sa précision polissonique ordinaire[1]. »

Nos trois spirituels entrepreneurs de marionnettes avaient fait peindre au bas du rideau de leur théâtre un polichinelle en pied[2], avec cette devise un peu bien fière : « J’en valons bien d’autres. » Dans un vaudeville joué au commencement de ce siècle, on a mis dans la bouche de Lesage cet éloge des troupes de marionnettes :

Les acteurs y sont de niveau,
Aucun d’eux ne s’en fait accroire ;
Les mâles au porte-manteau,
Et les femelles dans l’armoire.
Isabelle, sous les verrous,
Laisse Colombine tranquille,
Et Polichinelle à son clou
Ne cabale pas contre Gille[3].

Cependant Francisque, abandonné à l’improviste par ses trois auteurs, eut la bonne fortune de recruter Piron. Celui-ci, dans une pièce en monologue intitulée Arlequin-Deucalion ; railla assez finement ses confrères passés joueurs de marionnettes. Obligé, par l’arrêt de la cour, à ne faire parler qu’un seul acteur, il éluda cette incommode obligation par plusieurs heureux subterfuges. Voici un des meilleurs Arlequin-Deucalion, cherchant dans tous les coins du Parnasse des matériaux pour créer des hommes, met la main sur un polichinelle de bois, qui parle aussitôt son baragouin par l’organe du compère placé sous la scène. Grand émoi de Deucalion, qui craint un procès des grands théâtres ; mais, comme ce genre de dialogue n’avait pas été prévu dans la requête des comédiens à privilèges, et que l’arrêt n’avait pas compris le jargon de Polichinelle parmi les voix proscrites, le commissaire, qui assistait au spectacle, ne se crut pas en droit de verbaliser. Cependant, comme de pareils tours d’esprit ne peuvent pas se multiplier indéfiniment, Piron se découragea, et Francisque, faute de monologues, fut obligé de revenir aux marionnettes. Il s’avisa alors d’en faire fabriquer de grandeur presque naturelle, et Piron, qui venait de railler ses confrères, consentit à laisser jouer par celles-ci, à la foire Saint-Laurent suivante, un opéra-comique en trois actes et en

  1. Théâtre inédit de la foire, Soleinne, no 3399.
  2. Ce polichinelle gravé dans le Théâtre de la foire (tome V, p. 47) est curieux en ce qu’il donne le costume exact du personnage en 1722.
  3. Lesage à la foire ou les Écriteaux, par MM. Barré, Radet et Desfontaines.