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c’est l’accent, et, comme on dirait, la note musicale des affaires ; mettez-les à côté des lettres de M. de Villèle, c’est un personnage à côté d’une personne. Tout le monde ne s’y trompait pas. Plus d’un de ses correspondans augustes d’alors (dont il a cité toutes les dépêches) laisse percer son impression par une flatterie ironique, par un petit sourire du coin des lèvres dont M. de Chateaubriand ne s’aperçoit pas. Son rusé collègue ne s’y faisait pas plus d’illusion et n’aimait pas qu’on s’en fît ; mais M. de Chateaubriand lui-même était sincèrement dupe de ses propres phrases, et, de bonne foi se croyant le plus grand diplomate et le plus grand ministre du monde, il n’a jamais compris ce qui a manqué à ses succès et ce qui a causé ses disgraces.

Aussi, pensant avoir tous les mérites, il était simple qu’il prétendît à tous les honneurs. Il faut voir avec quel naturel et quel sans-gêne de vanité ! Il y a un chapitre intitulé Présomption, auprès duquel toutes les tirades des marquis de Molière pâlissent. Puis il faut voir aussi les joies enfantines que lui causent les plus simples signes extérieurs attachés aux dignités, dont, après tout, il fut comblé, le nombre de ses gens, la livrée de ses domestiques, l’éclat de ses fêtes ou de ses dîners, sa maison remplie de beau monde et sa poitrine chamarrée de cordons ! Heureux mortel, que les prétentions aristocratiques ne privent d’aucune des joies des parvenus ! Tout cela, bien entendu, est raconté négligemment avec un souverain dédain qui n’a pas empêché de tout compter, de tout remarquer et de tout dire. Règle générale nécessaire à l’intelligence des Mémoires : toutes les fois que l’auteur a prétendu à quelque chose, il a soin d’en parler avec dédain. On est confondu du nombre de choses auxquelles il a pensé et dont il ne s’est jamais soucié. Ce procédé étant général et passé à l’état d’habitude, que penser de phrases comme celles-ci : « Rois de la terre, gardez vos couronnes, et surtout ne me les offrez pas, car je n’en veux mie ; » ou bien encore : « Je pourrais m’adresser aux monarques ; comme j’ai tout perdu pour leur couronne, il serait assez juste qu’ils me nourrissent ; mais cette idée qui devrait leur venir ne leur vient pas, et à moi elle vient encore moins. Plutôt que de m’asseoir au banquet des rois, j’aimerais mieux recommencer la diète. » Puisque cette idée n’est venue à personne, on se demande comment elle se trouve imprimée tout au long.

Ces élans d’amour-propre seraient des petitesses innocentes, si toute vanité n’avait un revers de médaille, et si une si grande complaisance pour soi-même n’engendrait toujours une déplaisance égale pour autrui. On dit en philosophie que le non-moi est la limite du moi. M. de Chateaubriand paraît avoir cruellement senti cette vérité, et ce moi, dont le domaine tenait tant de place, en a cordialement voulu à tout ce qui lui servait de frontière ; mais ici vraiment on ne se sent plus le courage de railler. Aussi bien on ne rit pas de bon cœur devant la