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reflet du réel, qu’une copie fausse en quelque sorte à force d’être exacte. Les monstruosités qu’il présente sont choquantes à juste titre, bien qu’elles soient littéralement celles de la nature elle-même mais ces imperfections, que la machine reproduit avec fidélité, ne choquent point nos yeux, quand nous regardons le modèle sans cet intermédiaire ; l’œil corrige à notre insu les malencontreuses exactitudes de la perspective rigoureuse ; il fait déjà la besogne d’un artiste intelligent : dans la peinture, c’est l’esprit qui parle à l’esprit et non la science qui parle à la science. Cette réflexion de Mme Cavé est la vieille querelle de la lettre et de l’esprit : c’est la critique de ces artistes qui, au lieu de prendre le daguerréotype comme un conseil, comme une espèce de dictionnaire, en font le tableau même. Ils croient être bien plus près de la nature quand, à force de peines, ils n’ont pas trop gâté dans leur peinture le résultat obtenu d’abord mécaniquement. Ils sont écrasés par la désespérante perfection de certains effets qu’ils trouvent sur la plaque de métal. Plus ils s’efforcent de lui ressembler, plus ils découvrent leur faiblesse. Leur ouvrage n’est donc que la copie nécessairement froide de cette copie imparfaite à d’autres égards. L’artiste, en un mot, devient une machine attelée à une autre machine.

Le daguerréotype me conduit naturellement à ce que Mme E. Cavé dit du portrait : « Il n’est pas d’œuvre plus délicate. Une personne qui remue, qui parle, ne laisse pas apercevoir ses imperfections comme un portrait muet et immobile. On voit toujours beaucoup trop un portrait ; on le voit plus en un jour que l’original en dix ans. Un portrait initie celui qui le regarde à des détails qu’il n’avait jamais vus. Ainsi, par exemple, il arrive souvent qu’on dit devant un portrait : C’est ressemblant, mais le nez est trop court. Puis on regarde l’original, et, on ajoute : Je n’avais pas remarqué que vous eussiez le nez si court… mais vous avez le nez très court !… » Ces réflexions montrent assez quelle doit être la tâche du peintre de portrait, et cette tâche exige peut-être, contre l’opinion reçue qui classe le portrait dans les genres inférieurs, des facultés supérieures et tout-à-fait distinctes. On comprend que l’habileté du peintre de portrait consistera à amoindrir les imperfections de son modèle, tout en conservant la ressemblance, et les moyens que donne. Mme Cavé de résoudre cette difficulté sont à la fois simples et ingénieux. Certains traits peuvent être modifiés, embellis, tranchons le mot, sans nuire aux traits caractéristiques. « Étudiez le caractère d’une tête, tâchez de reconnaître ce qu’elle a de frappant au premier abord. Il y a des personnes qui naissent avec ce tact ; aussi font-elles le portrait ressemblant même avant de savoir dessiner. J’appelle ressemblant le portrait qui plaît à nos amis, sans que nos ennemis puissent dire : C’est flatté ! Et ne croyez pas que ce soit facile combien y a-t-il de bons peintres de portrait, c’est-à-dire de peintres qui joignent à un grand talent le mérite de la ressemblance ? Fort peu. Souvent un simple croquis est plus ressemblant qu’un portrait c’est qu’on a le temps d’y mettre ce que tout le monde a remarqué. Savez-vous quelle est la couleur des yeux de tous vos amis ? Non certainement… Il résulte de là que nous nous regardons entre nous légèrement. De là cette question : Faut-il, qu’un peintre de portraits nous en montre plus que nous n’avons l’habitude d’en voir ? Examinez les portraits faits au daguerréotype : sur cent, il n’y en a pas un de supportable. Pourquoi cela ? C’est que ce n’est pas la régularité des traits qui nous frappe et nous