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charme, mais la physionomie, l’expression du visage, parce que tout le monde a une physionomie qui nous saisit au premier aspect, et qu’une machine ne rendra jamais. De la personne ou de l’objet qu’on dessine, c’est donc surtout l’esprit qu’il faut comprendre et rendre. Or, cet esprit a mille faces différentes : il y a autant de physionomies que de sentimens. C’est une grande merveille de Dieu d’avoir fait tant de figures diverses avec un nez, une bouche et deux yeux ; car qui de nous n’a pas cent visages ? Mon portrait de ce matin sera-t-il celui de ce soir, de demain ? Rien ne se répète : à chaque instant, une expression nouvelle ! »

Je ne m’étendrai point sur toutes les parties de ce charmant traité dont le mérite principal est peut-être la brièveté. Dans d’aussi étroites limites, l’auteur touche à tous les points qui peuvent intéresser un élève aussi bien qu’un artiste consommé : l’art de choisir le point de vue, de disposer, les lumières et les ombres, enfin tout ce qu’on peut enseigner de la composition, tout cela est présenté en peu de mots ; elle n’oublie pas, dans cette partie de l’art qui résume toutes les autres, de recommander la circonspection dans le choix des sujets : Comme, elle a le bon goût, et j’ajouterai l’excessive modestie, de ne s’adresser qu’à des femmes, cette attention est plus importante encore ; j’ajouterai que bon nombre d’hommes pourront faire leur profit de ses conseils : la fureur de tenter des sujets ou des genres pour lesquels ils ne sont points faits a égaré beaucoup d’artistes de mérite. Le préjugé qui mesure le talent à la dimension des ouvrages ne devrait se rencontrer que chez les personnes qui ne sont point familiarisées avec la peinture : comment des artistes qui sentent et admirent comme ils le méritent les chefs-d’œuvre des Flamands et des Hollandais trouvent-ils quelque chose à envier, quand ils produisent eux-mêmes des ouvrages remarquables dans des dimensions analogues ? Il n’y a point de degrés, dit Mme Cavé, dans la valeur des choses que l’on sculpte ou qu’on peint : il n’y a de degrés que dans le talent des artistes qui exécutent. La recommandation capitale qui est le point de départ de tant enseignement est donc celle-ci : Consultez, avant tout, la vocation de votre élève. « Aujourd’hui, dit-elle encore, on fait des artistes malgré Minerve ; on dit à un jeune homme : Tu seras peintre, sculpteur, comme on lui dirait : Tu seras potier ou menuisier, sans étudier le moins du monde son aptitude. On oublie que c’est le génie seul qui peut dire à un jeune homme : Tu seras artiste. Apparemment que, dans l’antiquité, il en était autrement. » - « Voyez cette rivière, dit-elle ailleurs, qui suit amoureusement le lit que la nature lui a creusé, portant dans son cours sinueux la fraîcheur et l’abondance, s’enrichissant des petits ruisseaux qu’elle rencontre, et enfin arrivant à la mer, fleuve puissant et majestueux : c’est l’image du talent et du génie ; rien ne lui coûte, il suit sa pente naturelle. Il n’en va pas ainsi des natures inférieures, chez lesquelles tout est emprunt et efforts, semblables à ces canaux creusés à grand renfort de bras à travers les montagnes et qui manqueraient d’eau, si la rivière voisine ne les alimentait, fleuves factices, sans grace et sans vie. »

On voit par ce que je cite au hasard que ma tache est facile : ces images frappantes et simplement exprimées qu’on rencontre çà et là et avec la sobriété convenable sont l’accompagnement des préceptes et donnent une idée de la manière dont l’ouvrage est traité. Il est difficile de faire l’analyse complète d’un travail aussi : instructif et aussi clairement présenté ; on ne peut que se jeter dans des répétitions en d’autres termes des simples vérités que l’auteur met sous les