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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/1152

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yeux de ses lecteurs. En parlant aux jeunes filles qui sont ses élèves, et sous une forme légère, — Mme Cavé présente aux artistes de toutes les classes les idées les plus intéressantes à méditer et à retenir.

Je veux parler encore de sa leçon sur l’utilité qu’on doit tirer de l’étude des grands maîtres : les réflexions auxquelles elle se livre sur leurs mérites divers me paraissent résoudre en peu de mots une grave question qui a fait entasser des volumes, et qui ne semblait pas résolue. Il ne s’agit de rien moins que du beau, ce beau que les uns ont fait consister dans la ligne droite, d’autres dans la serpentine, et que l’auteur du traité trouve tout simplement partout où il y a admirer : « Étudiez les différences qui existent entre ces grands talens (elle vient de passer en revue les grands maîtres des différentes écoles). Les uns sont en première ligne, les autres en seconde mais il y a des beautés chez tous ; chez tous, il y a matière à s’instruire. Ce que je recommande particulièrement, c’est de n’être point exclusif. Certains peintres se sont perdus en n’adoptant qu’une seule manière et en condamnant toutes les autres. Il faut les étudier toutes sans partialité ainsi on conserve son originalité parce qu’on ne se met à la suite d’aucun maître : L’élève de tous n’est l’élève d’aucun, et de toutes ces leçons qu’il a reçues il s’est fait une richesse propre… Tandis que ce maître s’est attaché à étudier la nature dans ses plus petits détails, cet autre n’a cherché que les effets pittoresques, que les grandes tournures. Ceux-ci ont représenté, en peignant l’histoire, les scènes mémorables de la vie ancienne ; ceux-là ont peint naturellement et sans efforts le motif le plus banal tel qu’il se présentait à leurs yeux. Les uns ont demandé leurs inspirations à la poésie, les autres à la réalité. Paul Véronèse jette l’air et la lumière partout avec profusion ; Rembrandt s’enveloppe dans un clair-obscur profond et ingénieux. Celui-là est blond, celui-ci vigoureux. Tous sont divers, mais tous sont dans la nature. Si les femmes de Rubens ne ressemblent pas à celles de Titien et de Raphaël ; c’est que les Hollandaises ne ressemblent pas aux Italiennes. Il y a plus dans le même pays, Titien, Raphaël, Paul Veronèse différent entre eux sur la forme ; c’est que chaque peintre avait son goût, sa prédilection chacun a peint les femmes comme il les aimait, et aucun ne s’est trompé : il a peint le beau qu’il voyait.

Je laisserai le lecteur sous l’impression de ces lignes si nettes et si sensées ; je n’ai garde de les accompagner de réflexions : elles me serviront de conclusion en attendant qu’elles puissent amener les esprits à s’entendre sur les qualités respectives des grands maîtres et surtout sur ce fameux beau qui a coûté tant d’insomnies à tant de grands philosophes tandis que d’autres hommes rares le trouvaient sans y penser.


EUGENE DELACROIX.



REVUE MUSICALE.

L’Opéra a rouvert ses portes après deux mois de silence. La saison a été inaugurée par la Favorite de Donizetti, ouvrage charmant qui ne vieillit pas, et qui a le privilège de plaire également aux dilettanti de profession et aux simples amateurs : Le véritable attrait de cette soirée était l’apparition de Mlle Alboni dans le rôle de Léonor, qu’elle m’avait pas encore chanté à Paris. Avant d’avoir entendu Mlle Alboni dans le Prophète de M. Meyerbeer, on pouvait