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l’existence même, il est dans les mœurs, dans les usages, dans les pensées, dans la manière d’envisager les choses ; il est passé dans l’essence de la nature espagnole, et forme avec le sentiment de la nationalité, avec ce beau sentiment individuel qui s’y allie sans le détruire, la trame virile de ce caractère où se révèle je ne sais quelle force mystérieuse de résistance et de préservation. De là cette difficulté qu’éprouvent les idées et les systèmes propagés par les courans révolutionnaires à s’acclimater au-delà des Pyrénées. De là ce spectacle singulier de révolutions où le pays semble un moment près de se dissoudre, et sous les pas desquelles revivent une à une d’invincibles traditions, qui allument à la surface d’effrayans incendies et laissent le fond de l’ordre social intact sous ces laves extérieures. « Les idées communistes, dit un écrivain espagnol, si fort répandues dans d’autres pays, sont absolument inconnues parmi nous. L’esprit révolutionnaire ne dépasse point la sphère des intérêts politiques. Notre société reste encore à l’abri de cette immoralité qui, dans d’autres contrées, a pénétré jusqu’aux rangs les plus infimes… » Étrange pays qui se montre rebelle aux merveilles de l’athéisme, de l’humanisme ou du circulus, qui garde du goût pour ce qu’il a toujours cru, et donne l’insolent exemple de la paix dans le développement de ses instincts religieux et monarchiques ! Ce qui explique, aux yeux de l’observateur, l’impuissance relative de l’esprit révolutionnaire au-delà des Pyrénées et cette sorte de consistance dont jouit la société espagnole au milieu d’autres sociétés chancelantes et ivres autour d’elle, c’est la présence dans son sein de quelques-unes de ces réalités traditionnelles, fondamentales, entre lesquelles la réalité religieuse, manifestée par l’unité et la spontanéité des croyances, occupe la première place. Et, qu’on le remarque, si les réalités sont la force conservatrice de la vie sociale en Espagne, si elles lui impriment un énergique caractère d’originalité morale, l’intelligence philosophique et littéraire ne trouve-t-elle pas également en elles une source inspiratrice ? L’éloquence enflammée à cet ardent foyer aura des couleurs et des accens auxquels n’atteindront pas, avec les meilleurs efforts, tant d’œuvres qui n’offrent qu’une naturalisation artificielle et pâle des génies étrangers, tant de harangues qui ne sont que les complaisans échos des tribunes de France ou d’Angleterre. M. Donoso Cortès est essentiellement Espagnol en étant catholique. Les idées, les impressions qu’il reçoit du dehors, il les transforme en lui-même et les marque du sceau d’une nouveauté hardie, d’une originalité saisissante, mélange extraordinaire de dogmatisme et d’imagination, de dialectique inventive et de poésie, de sagacité et- de profondeur, d’idéalité religieuse et de sens réel ; il a des traits d’une soudaine inspiration pour peindre cette révolution de février, « venue à l’improviste comme là mort. » Sait-on comment il envisage cette catastrophe de son point