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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/154

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de vue supérieur, comment il en détermine la mystérieuse signification dans son discours du 4 janvier 1849 ? «… La vérité est, dit-il, que février a été le jour de la grande liquidation de toutes les classes de la société avec la Providence, et que, dans ce jour terrible, toutes se sont trouvées en faillite… » Un des charmes élevés de cette éloquence, c’est qu’à tout prendre, c’est une pensée dans la pleine acception du mot, douée de mouvement et de vie, entière, absolue même, si l’on veut, se produisant sous une forme originale dans un siècle de semblans de pensée, de promiscuité intellectuelle, d’originalités bâtardes et mendiantes.

M. Donoso Cortès était vraiment fait, par ses facultés, par les qualités et les tendances de son talent, pour devenir ce penseur espagnol jugeant les défaillances de la civilisation européenne. Dans le développement de son esprit avant février, bien des traits font pressentir celui qui se fera le juge de nos révolutions actuelles. Dans le publiciste plus particulièrement espagnol, il y a déjà quelque chose du futur publiciste européen. Né vers 1809, brillant élève de l’université de Séville, la révolution d’où est sortie la monarchie constitutionnelle a pris M. Donoso Cortès dans la ferveur de la jeunesse, en 1834, pour le mêler à la vie politique et lui faire subir les fortunes diverses de notre temps ; cette monarchie constitutionnelle, il l’a toujours servie en cherchant à la dégager de l’élément révolutionnaire qui l’a si long-temps envahie et entravée, et, en poursuivant ce but, il ne faisait autre chose que répondre au véritable idéal politique de l’Espagne. M. Donoso Certes a été journaliste, député, fonctionnaire ; il était hier ministre à Berlin, il est aujourd’hui conseiller royal. Il s’est vu plus d’une fois sur le seuil du pouvoir sans y entrer, sans le souhaiter même ; il parle du pouvoir sans dédain et sans envie, en homme qui en comprend les conditions et ne veut point l’exercer. « Je suis incapable de gouverner, disait-il avec une sorte de sincérité naïve qui aura peu d’imitateurs ; je ne puis en conscience accepter le gouvernement : je ne pourrais pas l’accepter sans mettre une moitié de moi-même en guerre avec l’autre moitié, sans mettre en lutte mon instinct contre ma raison, ma raison contre mon instinct. » C’est plutôt une nature tout intellectuelle, abondante et forte, énergique et facile, facile même dans sa force, alliant la pénétration qui scrute les idées et les faits à la vigueur spéculative qui les condense, à l’imagination qui les enchaîne dans de lumineuses évocations et possédant cet art singulier d’éclairer la philosophie par la réalité, la réalité par la philosophie. La Collection des ouvrages de M. Donoso Cortès, depuis ses premières Considérations sur la diplomatie, tracées en 1834, jusqu’à son opuscule de Pie IX, écrit en 1847, est, à vrai dire, l’histoire des tentatives de ce généreux esprit, de ses recherches, de ses illusions mêmes et de ses graduelles transformations ;