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voulez attaquer son pouvoir social, car la force politique vient de la force sociale. Vous ne pouvez pas démocratiser le gouvernement, si vous ne démocratisez pas auparavant la société.

Voilà bien notre furie de logique française, et comme à propos d’un mot nous créons un système. Revenons au vrai. Lord Russell a parlé en whig dépité et non en radical ; mais nous persistons à penser toutefois que, même en Angleterre, les mots n’ont plus après 1848 le sens qu’ils avaient avant 1848, et nous serions désespérés, si nous pouvions croire, même un instant, que pendant que le continent, instruit par de cruelles expériences, s’éloigne chaque jour davantage de l’esprit révolutionnaire, l’Angleterre s’en rapprocherait. Que le ministère whig et que lord Palmerston se mêlent d’aviver sur le continent l’esprit révolutionnaire, qu’ils jouent de loin avec le feu, défendus qu’ils en sont par l’Océan qui entoure leur île bienheureuse, nous blâmons ces fantaisies, nous qui en souffrons ; mais enfin jusqu’ici ils n’en ont pas souffert ce sont pour eux jeux de princes. Si, par hasard, un charbon ardent avait sauté du continent en Angleterre, enveloppé dans quelques-unes des dépêches que lord Palmerston se faisait adresser par ses amis les radicaux de Suisse, d’Italie ou d’Espagne, et si l’incendie allait se mettre dans l’île fortunée, nous ne serions pas de ceux qui se consoleraient du désastre en pensant que le feu a commencé dans le cabinet de lord Palmerston.

D’Angleterre, passons en Allemagne. Voilà un pays qui se calme et qui s’apaise chaque jour davantage, et qui pourtant ne nous en plaît pas davantage, quelque amis que nous soyons du calme et de la paix : il y a plus, nous ne nous occupons plus de l’Allemagne qu’avec une sorte de répugnance ou de regret, avec répugnance parce que l’Allemagne, depuis le mois de mars 1848, semble avoir joué aux ombres chinoises, et que ces apparences fantastiques d’unité et de liberté, qui brillent et s’évanouissent rapidement dans l’obscurité, finissent par fatiguer la vue de leur mobilité. À qui et à quoi se prendre ? Tout paraît et tout disparaît en un moment. Nulle part la parole de l’Écriture : Transit figure hujus mundi, ne s’est mieux vérifiée qu’en Allemagne depuis deux ans. Voilà ce qui fait notre répugnance à parler des questions qui s’agitent en Allemagne. Et quand nous disons qu’il y a des questions qui s’agitent en Allemagne, nous nous trompons de mot. Les questions en Allemagne ne s’agitent et ne se débattent plus au grand jour ; elles se discutent à l’heure qu’il est entre gouvernemens, à huis-clos, dans l’ombre des chancelleries. Ce ne sont plus les bruyantes et confuses discussions de Francfort, ce ne sont plus même les courtes et modestes discussions d’Erfurth. Tout a pris une nouvelle physionomie, ou plutôt tout a perdu la voix. Ce sont des congrès de princes et de diplomates ; ce seront bientôt des protocoles. Voilà où en est l’Allemagne, et c’est là ce qui fait que nous en parlons avec regret : non pas assurément que nous regrettions le tapage de la démagogie germanique ; mais ce grand silence après ce grand bruit nous inquiète, parce que nous y voyons le signe le plus certain de l’avortement de la liberté et de l’unité germanique. Or nous espérions mieux de l’Allemagne. Nous croyions qu’elle saurait atteindre, en dépit des démagogues et en dépit des absolutistes, le but qu’elle poursuit depuis tant d’années, qu’elle saurait être libérale sans être révolutionnaire et unie sans être unitaire. Nos espérances ont été vaines.

Et pour bien faire comprendre le genre de chagrin que nous avons en par-