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les liens de l’étroite dépendance où vivait primitivement le grand nombre. Loin de moi d’attribuer au capital exclusivement le mérite d’avoir converti en hommes libres ce qui n’était qu’un vil troupeau. Il a fallu que le progrès des sentimens et des mœurs précédât et guidât l’influence de cet agent ; il a fallu que les hommes eussent cultivé les sciences et eussent dérobé à la nature quelques-uns de ses secrets, origine de leurs inventions. Je n’ai garde de superposer la matière à l’esprit ; mais l’homme est tout à la fois un être moral, un être intellectuel, un être matériel, il est tout cela indissolublement : il porte ainsi en lui trois puissances qui se combinent et s’entr’aident. Dans la hiérarchie de nos facultés, le premier rang appartient mille fois à celles de l’ordre moral ; malheur à toute société où on le leur contesterait ! Cependant le progrès de la société doit se manifester par des conquêtes dans les trois directions en même temps, et l’on ne peut se retarder dans l’une des trois sans être empêché dans les deux autres. Eh ! sans doute, il y a plus de vertu pour l’amélioration de l’existence du faible et pour l’affranchissement de l’opprimé dans ces simples paroles du Christ : Aimez-vous les uns les autres comme des frères, que dans tous les capitaux nés et à naître. Sans doute, l’essor spontané de l’homme vers la liberté est une force à laquelle tout devait céder à la longue. Sans doute les découvertes de l’intelligence devancent forcément les procédés perfectionnés de l’industrie, et c’est l’intelligence elle-même qui enfante ces perfectionnemens. Il n’en est pas moins vrai que, sans la formation successive du capital, les sublimes enseignemens du Christ n’eussent pu avoir leur effet, et les élans de l’esprit humain vers l’indépendance eussent été comprimés comme par une fatalité de plomb. Au surplus, constater l’action libérale qu’a exercée le capital et signaler celle qu’il doit avoir, ce n’est point se jeter dans le bourbier du matérialisme, c’est reconnaître la suprématie de l’esprit, c’est rendre hommage aux principes de la morale et honorer la liberté ; car la société ne forme de capital qu’autant que l’esprit humain fait des conquêtes, et que les individus obéissant aux inspirations de la morale, pratiquent les vertus distinctives de l’homme libre : la prévoyance, l’ordre, l’empire de soi, la domination de ses appétits.

Dans la société antique, il y a très peu de capital. Le seul agent naturel que l’homme se soit approprié, c’est le sol, auquel il fait rendre, à l’aide d’instrumens grossiers, une proportion médiocre de matières, et puis, quand il s’agit de mettre ces substances brutes en rapport avec ses besoins, il est d’une impuissance désolante, il est réduit à la force de ses membres ; pour outils, il a peu de chose au-delà de ses dix doigts. Les procédés d’une industrie avancée lui sont inconnus : il n’a point encore pénétré assez avant dans le sanctuaire de la science, il n’a pas découvert le moyen de transformer en serviteurs obéissans