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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/361

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« Nous sommes assez osés pour ne pas admirer le stoïcisme de la montagne, assistant, l’arme au bras, à la ruine de la constitution, et se laissant clouer sur ses bancs par l’insulte et l’outrage ; nous pensons et nous disons tout haut, avec l’espoir que notre parole sera entendue de la France entière, que le peuple n’a plus rien à attendre que de son patriotisme et de son courage, qu’il peut et doit choisir son temps et son heure, sans demander un firman aux muets de la montagne et aux endormeurs de la presse ; — impatiences de l’exil ! »

Nous avons cité ces curieux passages du journal de M. Ledru-Rollin, parce qu’il nous montre bien l’importance de la victoire légale du 31 mai. Oui, ç’a été un grand coup porté à l’armée du mal que la loi du 31 mai 1850. Chaque jour, les renseignemens que nous trouvons dans les journaux sur la réduction des listes nous prouvent que la loi a atteint le but qu’elle poursuivait, puisque partout la population nomade, c’est-à-dire la population qui n’a aucun intérêt au maintien de l’ordre social, se trouve éliminée, tandis que la population domiciliée, c’est-à-dire la population honnête et régulière, s’est affermie dans ses droits ; mais ce qui a frappé surtout les réfugiés dans la discussion de la loi électorale, c’est que la montagne, après avoir annoncé qu’elle allait tout foudroyer, s’est laissé vaincre le plus commodément du monde. Nous avons nous-mêmes remarqué cette soudaine sagesse ; mais la remarque est plus piquante dans la bouche de M. Ledru-Rollin. D’où vient cette prudence, sinon du sentiment que la montagne a eu de sa faiblesse, sentiment fort juste, selon nous. Et quand nous entendons M. Ledru-Rollin en faire un reproche à la montagne, nous trouvons que la montagne de Paris serait fort à son aise pour renvoyer le reproche à la montagne de Londres. Cette faiblesse, en effet, du parti démagogique, d’où vient-elle, sinon de la conduite de M. Ledru-Rollin et de ses amis depuis la révolution de février, et surtout depuis dix-huit mois ? S’il n’y avait pas en l’année dernière un 13 juin aussi impuissant que ridicule, on s’en souvient, peut-être y aurait-il eu cette année quelque 13 juin formidable. Nous n’en croyons rien quant à nous ; mais, contre M. Ledru-Rollin, la montagne de Paris peut le croire et le dire. Si quelqu’un, en effet, depuis le 24 février 1843 jusqu’au 13 juin 1849, a pu se dire le chef du parti démagogique, si quelqu’un a conduit ce parti, c’est assurément M. Ledru-Rollin. Où l’a-t-il mené ? Qu’en a-t-il fait ? Ce ne sont pas les fautes de cette année qui ont perdu le parti démagogique ; ce sont les fautes de toute sa conduite depuis le 24 février. Il n’appartient pas à ceux qui ont épuisé un parti par leurs imprudences et leurs folies de lui reprocher de manquer de force.

Nous avons vu comment M. Ledru-Rollin juge la montagne d’aujourd’hui. Il est curieux peut-être aussi de voir comment il juge le gouvernement provisoire et les événemens de 1848. Nous avons entendu rappeler souvent un proverbe de notre première révolution : Égoïste comme un émigré. Ce proverbe s’applique fort bien aux émigrés démocrates de Londres. Il n’y a qu’eux qui aient compris le sens de la révolution de février ; il n’y a qu’eux qui savent la diriger, et quiconque s’écarte d’eux ou de leurs pensées est un aveugle ou un traître. Le mal remonte haut, selon le citoyen Delescluze. Ainsi le peuple s’est trompé dès le 24 février, car, parmi ceux que le peuple élève au rang de gouvernans provisoires, on ne compte pour ainsi dire « que des royalistes ou