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dans toute l’Europe. Ce plan de république universelle et d’unité démagogique est surtout exposé dans un article de M. Mazzini, l’ancien dictateur romain. « Il faut, dit M. Mazzini, il faut qu’aux chapelles se substitue l’église, aux sectes la religion de l’avenir. Il faut que la démocratie européenne se constitue. Il faut qu’à la ligue des pouvoirs corrompus ou mensongers vienne enfin s’opposer dans sa réalité et dans sa puissance la sainte alliance des peuples. Il faut poser en commun la première pierre du temple sur le fronton duquel l’avenir inscrira : DIEU EST DIEU, et L’HUMANITÉ EST SON PROPHÈTE. La victoire est à ce prix ; l’initiative est à tous. »

Que signifient ces pompeuses glorifications de l’humanité ? Quoi ! nous sommes tous les prophètes de Dieu ! Pauvres prophètes ! Mais M. Mazzini sait bien ce qu’il veut dire. L’humanité, c’est lui, comme, dans la bouche de M. Ledru-Rollin, le peuple, c’est M. Ledru-Rollin lui-même et lui seul. Grands mots et petits hommes, orgueils individuels qui s’érigent en personnifications insolentes de l’univers, voilà la triste histoire de nos jours ! Nous ne nous y trompons pas en effet, et nous ne prenons pas M. Mazzini pour un fanatique. Les fanatiques se dévouent aux autres ; M. Mazzini se dévoue à sa propre déification. Cela ne fait qu’un égoïste, plus le galimatias.

Reposons-nous des publications étranges ou coupables que nous venons de parcourir sur l’écrit d’un homme de talent et d’un homme de bien, M. Émile de Bonnechose. Cet écrit, intitulé les Chances de salut de la société actuelle, commence par analyser nos maux, et, parmi nos maux, M. Émile de Bonnechose compte sans hésiter quelques-unes de nos institutions, les lois sur la presse, sur l’enseignement, sur les concours, sur la garde nationale, et surtout le suffrage universel. « Si l’ordre règne en ce moment, dit M. de Bonnechose, si la société se maintient debout, si ses ennemis sont momentanément abattus, cet état de choses doit être attribué uniquement à la sagesse et à l’union des grands pouvoirs constitués, dont l’existence est précaire, et qui n’ont en eux-mêmes aucune condition de stabilité ni de durée, et les seules chances qu’ait la société pour échapper aux plus grands malheurs c’est d’être replacée par ces mêmes pouvoirs sur des bases plus fermes et dans des conditions d’existence plus normales. » Or, quelles sont ces conditions ? M. de Bonnechose compte parmi les premières conditions de l’existence de la société l’établissement d’un pouvoir exécutif respecté et suffisamment fort, « et enfin des institutions tutélaires qui proportionnent, autant que possible, la part d’influence politique donnée à chacun dans la société à l’intérêt plus ou moins grand que chacun peut avoir à la défendre. »

Ces derniers mots, si je ne me trompe, font de M. de. Bonnechose un réactionnaire décidé. Il veut, en effet, revenir au cens ou tout au moins à la capacité spéciale, pour constituer la liste électorale. Il ne croit pas que tout le monde naisse électeur ; il pense que l’électorat est un droit qui ne doit être conféré qu’à ceux qui le méritent ; il nie enfin le principe du suffrage universel, et, pour nier le principe du suffrage universel, il s’appuie avec une grande naïveté sur l’autorité de Benjamin Constant, comme si, depuis les grands publicistes que nous avons eus, voici bientôt trois ans, par milliers et par millions, l’autorité de Benjamin Constant était encore de mise. Benjamin Constant disait, il