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et surtout les garanties de sécurité, les garanties d’existence, devrions-nous dire, que la métropole donne à Cuba ?

En fait de liberté politique, nous avouons que le régime colonial n’est nulle part un régime-modèle ; mais ni les planteurs que ce régime protège contre les tentatives d’embauchage exercées sur les noirs, ni les immigrans qui savent d’avance à quoi ils s’engagent, ni les noirs qui s’inquiètent fort peu de droits politiques, n’ont à s’en plaindre. Quand je lis d’ailleurs dans les journaux de l’île le récit des solennités scientifiques et littéraires qui constituent à Cuba la manie du jour, je me dis que ce ne sont pas là les préoccupations d’une société avilie par le despotisme officiel, ou méditant dans sa silencieuse colère un nouveau serment de Bolivar. En admettant même que le régime colonial de Cuba fût des plus tyranniques, — et il est, au contraire, infiniment plus libéral que celui des colonies anglaises, — nous savons une tyrannie bien autrement odieuse : c’est celle d’une majorité yankee. Or, quel est le point où la race anglo-américaine ait pris pied sans y devenir bientôt majorité ? Que sont devenues la race française dans la Louisiane, la race hollandaise à New-York, la race suédoise à New-Jersey et dans le Delaware, la race allemande en Pensylvanie ?

N’allons pas plus loin, car nous avons prononcé le mot décisif. L’annexion fût-elle, pour Cuba, une condition de salut, au lieu d’être un suicide, cette question seule de race ferait pencher la balance en faveur de la métropole. Une partie des colons auraient pu céder peut-être tôt ou tard à la velléité d’une émancipation pure et simple qui leur aurait permis de rester Espagnols : la crainte, désormais justifiée, de devenir anglo-américains garantit leur fidélité. Entre la plus ombrageuse nationalité de l’ancien monde et la plus envahissante du nouveau, il n’y a d’étreinte possible que pour la lutte, il n’y a d’accord possible que dans l’isolement mutuel.

Il ne faut donc pas s’exagérer, comme l’ont fait quelques-uns de nos journaux, les dangers que peut courir du côté des États-Unis la riche colonie qui nous occupe. Le cas échéant, l’Espagne peut être à peu près sûre de n’avoir qu’un seul ennemi à repousser. Et si, par un de ces reviremens auxquels l’instabilité électorale des pouvoirs de l’Union nous a habitués, le guet-apens organisé contre Cuba venait à s’abriter un jour, non plus sous un pavillon de fantaisie, mais sous le drapeau fédéral même, nous le demandons à l’avance l’Espagne n’aurait-elle pas le droit de compter sur des auxiliaires ? La politique d’intervention commence à être fort en défaveur, elle ne profite guère à personne ; mais il ne profiterait non plus, ce nous semble, à personne de laisser se fonder sur la moitié du globe et notamment sur un archipel où flottent presque tous les drapeaux européens un droit qui n’avait jusqu’ici de nom dans aucune langue humaine : le droit divin de la piraterie.


G. d’A…