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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/447

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de Venise nous ramènent naturellement aux véritables marionnettes.


V. – MARIONNETTES POPULAIRES AU MOYEN-ÂGE. – PANTOMIMES – CANTIQUES EXPLICATIFS.

Les dernières marionnettes populaires que nous avons vues chez les Grecs et chez les Romains avaient subi la révolution accomplie dans le drame antique ; elles étaient devenues pantomimes. Les peuples barbares, destructeurs et héritiers de la civilisation païenne, n’avaient guère pu entrevoir d’autres représentations théâtrales que celles des drames pantomimes ; il faut entendre par là, comme je l’ai dit, non pas une action entièrement muette, mais une action exprimée par des gestes sur l’orchestre, tandis qu’un coryphée ou un simple énonciateur, placé en avant sur le thymelé, chantait ou récitait un canticum, traduction lyrique ou épique des sentimens ou des actions rendus par l’acteur. On voit pourquoi ceux des écrivains des VIIe, VIIIe et IXe siècles qui ont eu la prétention de continuer la tradition antique n’ont composé qu’un si petit nombre de drames dialogués. Ils durent naturellement s’appliquer à imiter ce qui avait frappé leurs yeux, et, à peu d’exceptions près, ils n’avaient vu sur les théâtres grecs et romains que des pantomimes accompagnées de cantica[1]. Les écrivains du VIIe au XIe siècle nous fournissent en effet un certain nombre de courtes chansons narratives (histoires bibliques, légendes de saints, récits profanes), dont je crois pouvoir considérer plusieurs comme de véritables cantica destinés à servir d’explication orale à de petites pièces pantomimes que des jongleurs ambulans et peut-être aussi des marionnettes représentaient dans les foires ou sous le porche des églises. J’ai cité en 1835, à la Faculté des Lettres, comme ayant pu avoir la destination que j’indique, le cantique de Judith et d’Holopherne, imprimé depuis cette époque par M. Édélestan Du Méril[2]. Je crois que cinq ou six autres pièces également narratives, publiées par MM. Grimm, Ébert, Lachmann et Du Méril, telles que la légende de saint Nicolas, celles de l’enfant de la neige, du prêtre et du loup, etc., étaient aussi de véritables cantica, programmes en vers de petites pièces que des comédiens vrais ou feints représentaient pour les yeux. Je suis tenté d’en dire autant de plusieurs élégies tragiques ou comiques composées aux XIIe et XIIIe siècles dans les écoles, notamment

  1. Peut-être possédons-nous encore quelques-uns de ces cantica de l’antiquité. Il faudrait examiner à ce point de vue l’Orestes, tragédie épique, qui se trouve à Berne dans un manuscrit sur parchemin du IXe siècle. Voy. Sinner, Codices Biblioth. Bern., t. I, p. 507.
  2. Poésies populaires latines antérieures au douzième siècle, p. 184.