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notre bonheur. » Rire général et bravos pendant deux minutes. Cependant le futur porporato est surpris par une tante de la jeune fille, vieille connaissance qu’il a courtisée jadis à Ferrare. Pour lui échapper, il se sauve dans l’atelier, où les rapins lui font une réception peu fraternelle. Le peintre le tire de leurs mains, mais pour lui faire sentir la pointe d’un poignard. Cassandrino, qui ferait peut-être bonne contenance devant le péril, mais qui craint par-dessus tout de faire un éclat, consent, bon gré mal gré, à épouser la tante. Cependant, comme il est optimiste et prend toutes choses par leur bon côté, il s’approche de la rampe, et dit en confidence aux spectateurs : « Je renonce au rouge ; mais je deviens l’oncle de l’objet que j’adore, et… ! » Il feint alors que quelqu’un l’appelle, fait une pirouette et disparaît, suivi des applaudissemens de toute la salle.

Chaque soir ce sont, au théâtre du palais Fiano, de nouvelles petites pièces, où Cassandrino est accueilli avec la même faveur. M. F. Mercey, dont les lecteurs de cette Revue se rappellent les articles sur le Théâtre en Italie, nous a fait connaître quatre ou cinq petits chefs-d’œuvre de ce répertoire lilliputien. Je rappellerai seulement le Voyage à Civita-Vecchia, où Cassandrino, célibataire ennuyé qui cherche à se distraire de la trop monotone tranquillité de son coin du feu, tombe dans une suite de mésaventures et de burlesques catastrophes ; puis, Cassandrino dilettante e impresario, autre jolie petite pièce, où Cassandrino, amateur trop passionné de la musique et du beau sexe, se trouve aux prises avec le tenor, le basso cantante, le basso buffo, et surtout avec la prima donna, sa maîtresse, et le maestro, son rival. Ce maestro est dans la fleur de la jeunesse ; ses cheveux sont blonds, ses yeux bleus ; il aime le plaisir et la bonne chère ; son esprit est encore plus séduisant que sa personne, et il porte de plus un bel habit de vigogne. À tous ces avantages, et surtout à la vue de cet habit de vigogne, si fameux depuis la première représentation du Barbiere, toute la salle éclate en applaudissemens ; on a reconnu Rossini.

Mais quel est, nous demandera-t-on, le Théodore Leclerc ou le Henry Monnier de ces amusantes bagatelles ? M. Mercey nous apprend[1] que tous ces petits chefs-d’œuvre de franche gaieté et de fine satire sont dus à un certain M. Cassandre, joaillier sur le Corso, et homonyme de son héros par pur hasard, qui ne dédaigne pas de mettre lui-même en scène ses petits acteurs. Malheureusement, depuis quelques années, ce charmant et naïf observateur a cessé d’exister, et Cassandrino n’est déjà plus aujourd’hui à Rome qu’un souvenir qui s’efface, comme chez nous celui de Potier et de Tiercelin. Pulcinella est revenu et règne en ce moment au palais Fiano dans toute sa gloire séculaire. Il y

  1. Voyez Revue des Deux Mondes, livraison du 15 avril 1840.