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dont ses livres sont remplis profitent toujours aux parties importantes de son tableau. Le nouvel ouvrage que M. Ranke vient de donner à son pays est une histoire de la Prusse dont les deux derniers volumes ont paru l’an passé[1] : on y retrouvera les mérites familiers à l’auteur, une science très sûre, une intelligence fine, droite, et peut-être un style plus net, une forme plus dégagée qu’à l’ordinaire. Comment s’est formé le royaume de Prusse ? Comment la maison des électeurs de Brandebourg est-elle devenue une des grandes puissances de l’Europe ? Tel est le problème qui se présente ici à l’historien et qui doit faire l’unité de son œuvre. M. Ranke s’y est attaché avec force ; les progrès de la maison de Brandebourg, l’établissement de cette monarchie militaire, le rôle hardi qu’elle se donne et qui lui assure une autorité sans cesse croissante, tout cela forme une peinture pleine de vie, où se détachent avec éclat les figures du grand électeur et du glorieux capitaine de la guerre de sept ans. C’est surtout à cette dernière partie de son sujet, c’est au règne de Frédéric II et à ses conséquences fécondes que M. Ranke a consacré son attention. Son ouvrage se compose de neuf livres ; les trois premiers se terminent à l’avènement du grand Frédéric, les six autres contiennent l’histoire de la Prusse depuis 1740. C’est en 1740 en effet que se noue, pour ainsi dire, l’action du drame : ce qui précède n’en est que la préparation laborieuse. Jusque-là la Prusse s’organise et se fortifie pour son propre compte ; à partir de cette date, elle représente une idée, elle défend des intérêts qui importent à l’équilibre européen, on peut dire qu’elle a charge d’ames. Pendant tout le XVIIe siècle, les rois de Suède ont vainement essayé de fonder une puissance qui fût la protectrice de l’esprit nouveau créé par la réforme et qui fît contre-poids à l’Europe catholique. Ce que n’ont pu, malgré tant de génie et d’audace, ni Gustave-Adolphe, ni Charles X, ni Charles XII, ce sera la Prusse qui l’accomplira. M. Ranke a peint des plus vives couleurs cette époque hardie ; ce n’est pas seulement Frédéric II qui préside à l’avènement du génie de la Prusse : la vigoureuse génération qui l’entoure et le soutient a sa part dans ce glorieux travail. On sent, à lire M. Ranke, que c’est vraiment là un moment critique dans l’histoire de l’Allemagne. L’esprit qui régnait alors, les mâles idées qui créaient la Prusse et qui l’ont marquée de leur empreinte, revivent avec un enthousiasme contenu, avec une grave et patriotique émotion, dans le récit de l’écrivain. La politique extérieure du grand électeur, de Frédéric Ier et de Frédéric II, les guerres avec l’Autriche, les campagnes de Silésie, occupent nécessairement une grande place dans la narration ; toutefois l’auteur n’oublie

  1. Neuf Livres de l’Histoire de la Prusse (Neun Bücher preussischer Geschichte), par M. Léopold Ranke ; 3 vol. Berlin, 1848 et 1849.