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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/484

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pas les travaux de la paix, et l’organisation civile de la monarchie prussienne, qui remplit le neuvième livre, a fourni à M. Ranke l’occasion des plus curieuses recherches. Les archives secrètes des affaires étrangères, des lettres inédites de Frédéric-le-Grand, une foule de documens nouveaux ont été confiés à l’historien, bien digne de les mettre en lumière.

Cette histoire de M. Léopold Ranke emprunte un intérêt plus vif encore aux difficiles circonstances où l’Allemagne est désormais engagée. Bien que M. Ranke s’arrête vers la fin du XVIIIe siècle, bien qu’il évite toute allusion aux changemens survenus depuis et aux problèmes qui se débattent, les comparaisons naissent d’elles-mêmes dans l’esprit du lecteur. Aujourd’hui, comme il y a cent ans, la Prusse est en face de l’Autriche : d’ambitieuses tentations l’obsèdent, elle aspire en secret au gouvernement de toute l’Allemagne. Or M. Ranke fait remarquer avec justesse que, de tous les projets de Frédéric-le-Grand, celui-là seul a complètement échoué : Frédéric convoitait la direction unique des affaires allemandes, et la Prusse, telle qu’il l’a constituée, semble supposer, au contraire, l’antagonisme d’une autre puissance germanique fondée sur des principes opposés aux siens. L’historien ajoute, il est vrai, et c’est même la conclusion de son livre, que, malgré cet échec, un résultat immense avait été obtenu pour son pays. La puissance à laquelle appartenait l’empire semblait, descendre alors au rang des simples principautés territoriales, tandis que la Prusse seule, maîtresse de ses mouvemens, représentait au dehors l’indépendance de l’Allemagne. Est-ce là une flatterie au présent ? est-ce un encouragement adressé aux prétentions prussiennes ? Pardonnons quelque chose au patriotisme de l’écrivain ; le tableau si exact qu’il a loyalement tracé contredit assez cette conclusion suspecte. C’est une chose établie que tout le génie de Frédéric II ne put empêcher au sein des peuples germaniques l’antagonisme de deux principes contraires et opérer la fusion des deux Allemagnes en une seule. Ce que n’a pu l’épée d’un grand capitaine, ce qui a trompé l’heureuse audace d’un génie aventureux, et cela dans les circonstances les plus propices, en face de l’Autriche affaiblie, avec l’appui d’une génération neuve et ardente, quelle main serait désormais assez ferme, quel négociateur assez puissant pour l’accomplir ? Le génie de Frédéric s’était heurté contre la force des choses. L’histoire ici parle haut, la leçon est éclatante ; la Prusse saura-t-elle l’entendre et renoncer à ses chimères ?

Une chose me frappe dans ces travaux d’histoire, c’est que presque tous ont pour objet le XVIIIe siècle. Si vous exceptez le Shakspeare de M. Gervinus, tous les livres dont je viens de parler sont des études sur cette grande et merveilleuse époque, sur cette société qui a remué tant d’idées, qui a produit tant de mal à côté de tant de bien, et qui a légué