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de ces campagnes, tour à tour prises et reprises par les Prussiens et les Bavarois, par les Français et les Autrichiens. Toutefois, ce que je voudrais faire connaître, c’est moins le récit lui-même que l’inspiration de l’auteur. Or, si je résume fidèlement mes impressions, M. Hartmann veut surtout propager l’esprit de révolte dans les populations des champs ; il est secrètement irrité contre ces paysans du XVIIIe siècle qui retombent toujours sous le joug, qui acceptent les événemens sans se plaindre, et paraissent incapables de toute initiative hardie. « Le temps des paysans n’était pas encore venu ; quand viendra-t-il ? » Ces mots, qui terminent le livre, en contiennent, je crois, toute la pensée. Mauvaise inspiration, dirai-je à l’auteur, mauvaise pensée, que ne rachète pas l’intérêt d’un récit simple et énergique. M. Maurice Hartmann a trop de talent pour recourir aux inspirations stériles et aux succès menteurs de l’esprit de parti. S’il veut parler aux paysans, il trouvera sans peine des conseils plus salutaires à leur donner. La peinture des mœurs rustiques est désormais tout un riche domaine ouvert à l’imagination des poètes. Pestalozzi et Immermann ont découvert ces sources pures ; M. Auerbach dans ses premiers récits, Mme Sand dans la Mare au Diable, François le Champi et la Petite Fadette, y ont puisé de gracieux trésors. Il reste encore après eux des œuvres originales à tenter, et surtout beaucoup de bien à accomplir. Moraliser les esprits et les mœurs sans s’abaisser à la simplicité niaise, à la naïveté factice, qui est l’écueil du genre, c’est là un bel emploi de la poésie, et bien digne de tenter les écrivains d’élite. Seulement, que les lettrés y prennent garde ! le talent seul ne suffit pas ici, il faut surtout le caractère, il faut l’ame affectueuse et grave d’un Pestalozzi. L’homme dont la vie aura été fortement éprouvée remplira mieux cette tâche que l’artiste avide de renommée ; si ce dernier peut faire souvent d’heureuses rencontres dans les sentiers agrestes, l’autre exercera seul une influence durable et publiera des livres qui seront de bonnes actions. Tel est l’exemple donné en ce moment même par un romancier de la Suisse allemande, M. Jérémie Gotthelf. Tandis que M. Auerbach semble avoir perdu la veine excellente de ses premiers contes, tandis que M. Hartmann adresse aux gens des campagnes des excitations ténébreuses, M. Gotthelf poursuit, avec un succès croissant, la peinture des paysans de la Suisse, entreprise par lui depuis plus de quinze années. M. Gotthelf est citoyen du canton de Berne. Né dans une classe inférieure, mêlé dès son enfance à la vie des ouvriers et des travailleurs des champs, son inspiration, d’abord inculte et parfois même violente, s’est adoucie progressivement. Il y a une véritable élévation morale dans cette histoire d’Uli. Uli le valet, Uli le fermier, qu’il a publiée l’an dernier pour l’Allemagne. M. Jérémie Gotthelf est une figure originale, qui mérite d’être observée plus à loisir.