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pour créer une force anarchique de plus. Jamais il n’a existé de gouvernement qui ait travaillé aussi niaisement à se désarmer de ses propres mains. Aujourd’hui il sacrifie la magistrature, demain il sacrifiera l’armée : on dirait des complices de l’anarchie ; chaque jour, les membres du gouvernement provisoire travaillaient à se couper un peu plus profondément la gorge. — Comment, direz-vous, se livraient-ils ainsi d’eux-mêmes à leurs ennemis ? — Hélas ! c’est que leurs ennemis étaient leurs amis.

Au milieu d’une pareille anarchie, les partis avaient nécessairement beau jeu, et les impatiences de tout genre s’étaient changées en paresseuse et railleuse curiosité. Il y a eu un moment où personne ne s’est plus inquiété du danger, et où chacun aurait presque désiré que cet état de choses durât éternellement, afin d’avoir un thème de plaisanteries tout prêt. Amis de l’ordre et du désordre furent pendant un moment d’accord en cela, et la conciliation, qui s’était opérée sur les barricades de février au cri de vive la réforme ! continua encore par une touchante communauté de railleries à l’endroit du gouvernement et de ses actes. Hélas ! cette lune de miel politique ne dura pas. La révolution, comme je l’ai dit, embarrassée du gouvernement parlementaire qu’elle s’était formé et de l’appui moral que lui avait prêté la bourgeoisie, chercha bientôt à revenir sur ses pas et à vaincre de nouveau. Alors revinrent les luttes. La révolution commençait d’ailleurs à s’exprimer clairement, à dire hautement ce qu’elle avait voulu faire, à dévoiler ses ruses, et, après s’être moquée du bon tour et de la mystification qu’elle avait fait subir aux bourgeois, elle annonçait son intention bien arrêtée de les spolier. Chaque soir, les clubs déclaraient que la révolution ne s’arrêterait pas là, et que les nouvelles guerres civiles étaient plus près peut-être qu’on ne l’imaginait. La bourgeoisie était réellement à demi anéantie, et il semblait que ses ennemis n’avaient pour la tuer qu’à lui donner le coup le plus léger. La presse, le soutien le plus puissant de la bourgeoisie, était muette et impuissante ; elle se contentait d’enregistrer les édits des douze césars qui nous gouvernaient, leurs discours et leurs circulaires. Il n’y avait plus qu’une force qui fût debout dans Paris, c’était la force démagogique par excellence, les clubs. Quelle force ont les clubs, et combien cette force dépasse celle de la presse ! c’est ce dont nous avons pu nous convaincre alors : elle surpasse la force de la presse comme un orage surpasse l’électricité conduite par artifice dans les instrumens de physique, comme une force irrégulière qui n’obéit pas surpasse une force régulière qui obéit. J’ai compris alors pourquoi les démocrates tenaient tant au club : c’est que le club est l’institution démocratique par excellence ; ces assemblées tumultueuses sont véritablement les chambres hautes de la démocratie, chambres non élues, ne relevant que d’elles-mêmes ;