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de Nicolas. Il suppose en esprit qu’il est lui-même ce jeune homme, qu’il y a quelque chose de beau à répandre son sang pour un entretien d’amour, et, moitié éveillé, moitié soumis à une hallucination fiévreuse, il se glisse hors de son lit, puis parvient à gagner le jardin par la porte de la cuisine. Le voilà devant la fenêtre de Marguerite, qui l’avait laissée ouverte à cause de la chaleur. Elle dormait, ses longs cheveux dénoués sur ses épaules ; la lune jetait un reflet où se découpait sa figure régulière, belle et jeune comme autrefois dans ce favorable demi jour. Nicolas fit du bruit en enjambant l’appui de la fenêtre. Marguerite rêvant murmuré, entre ses lèvres : « Laisse-moi, mon cher Denesvre, laisse-moi ! » O moment terrible ! double illusion qui peut-être aurait eu un triste lendemain ! — La mort s’il le faut ! s’écria Nicolas en saisissant les bras étendus de la dormeuse… Il ne manquait à la péripétie que le coup de fusil de l’oncle jaloux. Une autre catastrophe en remplaça l’effet. L’abbé Thomas avait suivi Nicolas dans son escapade ; d’un pied brutal, il l’enleva en un instant à toute la poésie de la situation. Pendant ce temps, la pauvre Marguerite tout effarée croyait voir se renouveler, à vingt ans de distance et sous une autre forme, le sinistre dénoûment du drame amoureux qu’elle venait du rêver. Les deux enfans, entendant du bruit, venaient compléter le tableau. L’abbé Thomas les chassa avec fureur, puis, prenant Nicolas par une oreille, il le ramena dans sa chambre, le fit habiller aussitôt, et ; sans attendre le jour, se mit en route.avec lui pour la maison paternelle. Le scandale fut tel qu’il se tint le lendemain un conseil de famille dans lequel on décida que Nicolas serait mis en apprentissage chez M. Parangon, imprimeur à Auxerre. Marguerite fut elle-même soupçonnée d’avoir, par son indulgence et sa coquetterie, donné lieu à la scène qui s’était passée, et on la remplaça au presbytère par une dévote a la taille robuste qui s’appelait sœur Pilon.

Conduit par son père à Auxerre, peu de jours après, Nicolas alla dîner une seconde fois chez Mme Jeudi, la marchande janséniste, amie de leur famille. La tranquillité de cette maison n’avait pas été moins troublée que celle du presbytère de Courgis. La jeune mariée était en pénitence et parut à table avec une grosse coiffe et des cornes de papier. Son crime était de s’être dérobée à la double surveillance dont Mme Jeudi et de sa grande nièce d’une manière que rendait évidente le raccourcissement de sa jupe, et cela sans la permission de sa mère. Le gendre avait été renvoyé à ses parens comme un libertin et un corrupteur. Mme Jeudi s’écriait à tout moment en pleurant : « Ma fille s’est souillée une seconde fois du péché originel ! » Cependant le gendre, moins timide que par le passé, plaidait pour avoir sa femme et pour toucher sa dot.