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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/606

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VI. – L’APPRENTISSAGE.

L’imprimerie de M. Parangon, à Auxerre, se trouvait près du couvent des cordeliers. Les presses étaient au rez-de-chaussée, les casses dans une grande salle au-dessus. Les premières fonctions qui furent confiées à Nicolas n’avaient rien d’attrayant ; il s’agissait principalement de ramasser dans les balayures les caractères tombés sous les pieds des compagnons, de les recomposer ensuite, puis de les recaser ; il fallait aussi faire les commissions de trente-deux ouvriers, puiser de l’eau pour eux, et subir toutes leurs fantaisies grossières. L’amoureux de la belle Jeannette Rousseau, l’élève des jansénistes acceptait ces humiliations avec peine ; cependant son intelligence, son goût pour le travail, et surtout la connaissance qu’il avait du latin, ne tardèrent pas à le faire respecter des compositeurs. Il y avait quelques livres dans le cabinet du patron ; Nicolas, qui, les jours de fête, préférait la lecture aux parties de plaisir de ses camarades, se prit d’une grande admiration pour les romans de Mme de Villedieu. La facilité avec laquelle les amans s’écrivent dans ces sortes de compositions lui fit trouver tout naturel d’écrire une lettre d’amour à Jeannette en vers octosyllabiques ; seulement, par un oubli incroyable des précautions à prendre en pareille circonstance il se borna à jeter la lettre à la poste, de sorte qu’elle tomba sous les yeux des parens, puis fut envoyée au presbytère, où le curé, l’abbé Thomas et la sœur Pilon jetèrent des cris d’indignation. On s’applaudit d’autant plus, dans la famille, d’avoir éloigné du pays un si dangereux séducteur, et l’impossibilité de retourner à Courgis après cet esclandre désola profondément le jeune amoureux.

Tout à coup une apparition imprévue vint entièrement changer le cours de ses idées et prendre sur sa vie une influence qui en changea toute la destinée. Mme Parangon, la femme du patron, que Nicolas n’avait pas vue encore, revint d’un voyage de plusieurs semaines qu’elle avait fait à Paris. Voici le portrait que traçait d’elle plus : tard l’écrivain parvenu à l’apogée de sa vie littéraire : « Représentez-vous une grande femme, admirablement proportionnée, sur le visage de laquelle on voyait également fondus la beauté, la noblesse et ce joli si piquant des Françaises qui tempère la majesté ; ayant une blancheur animée plutôt que des couleurs ; des cheveux fins, cendrés et soyeux ; les sourcils arqués, fournis e t paraissant noirs ; un bel œil bleu, qui, voilé par de longs cils, lui donnait cet air angélique et modeste, le plus grand charme de la beauté ; un son de voix timide, pur, sonore, allant à l’ame ; la démarche voluptueuse et décente ; la main douce sans titre potelée, le bras parfait, et le pied le plus délicat qui jamais ait porté une jolie femme. Elle se mettait avec un goût exquis ; il semblait