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pas à l’idée qu’on s’en fait. Je montai sur le campanile de la place Saint-Marc pour voir la ville des doges au milieu des lagunes. J’avoue que le palais ducal, à la première vue, trompa mon attente : Les décorations de théâtre me l’avaient gâté d’avance, et mon imagination lui prêtait des proportions plus majestueuses. Cependant je l’ai revu plusieurs fois depuis, et chaque fois il m’a paru plus beau, surtout le soir quand sa masse imposante, éclairée par les rayons de la lune, projette sa grande ombre sur la Piazzetta. Les coupoles de Saint-Marc me semblèrent aussi, au premier aspect, un peu écrasées. Il faut revoir plusieurs fois ces admirables monumens pour en comprendre toute la beauté. À Padoue comme à Venise ; c’était en courant que je me voyais forcé de parcourir les églises, et les musées. J’admirai dans l’église de Saint-Antoine le beau candélabre en bronze d’un seul jet et les bas-reliefs du Donatello ; mais à quoi bon m’arrêter sur ces premières émotions qu’éveillaient en moi les belles cités de l’Italie ? Ce n’était pas en touriste, c’est en soldat qu’il me fallait parcourir cette terre classique, et le moment approchait où la vie de garnison allait succéder pour nous à la vie de voyage.


II

Le 5 septembre, nous arrivâmes à Vérone ; notre marche était finie. Je pris l’étendard, et, passant devant les arènes, j’allai au son des trompettes, pendant que la division restait rangée sur la place, le remettre aux mains de l’officier commandant la grand’garde. Cet étendard était un souvenir précieux donné au régiment par Marie-Thérèse. À cette époque et jusqu’à la fin du règne de Joseph II, le régiment se recrutait en Flandre ; les soldats ne parlaient que français ; on les appelait les Wallons. C’est eux qui avaient décidé le gain de la bataille de Kolin qui paraissait d’abord perdue. L’armée impériale commençait à plier ; le comte de Thiennes, colonel du régiment, reçoit l’ordre de la retraite ; il court à Daun : « Maréchal, dit-il, je vais attaquer, et, si j’y péris avec mon régiment, du moins j’aurai sauvé l’honneur. — Que voulez-vous faire avec vos blancs-becs de Flamands ? lui dit Daun, qui savait que le régiment n’était alors presque entièrement composé que de jeunes recrues. — Vous allez le voir, » crie de Thiennes. Il se jette, suivi de ses officiers et à la tête de tout le régiment, au milieu des lignes d’infanterie prussienne. Trente escadrons de hussards prussiens, soutenus par quinze de dragons en seconde ligne, sont culbutés par la cavalerie impériale, et la victoire est à l’Autriche ; mais de Thiennes était tué, et le tiers du régiment y resta. Plusieurs des officiers étaient Lorrains, l’histoire du régiment a conservé leurs noms ; il y a parmi eux les noms de Ficquelmont et de d’Aspremont. Le grand Frédéric, voyant