Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/633

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

presque nus ! » Et, me tournant vers eux, je vis un rire approbateur accueillir ma réponse ; j’en profitai et m’avançai vers l’escalier. Tous me firent place ; je regagnai ma voiture et partis au galop.

À Pordenone, comme je changeais de chevaux, je vis un groupe de gens descendre le pont en courant et entrer dans la cour de la poste : je ne m’effrayai pas, car j’étais prêt à tout ; mais je m’appuyai à la voiture et les regardai fixement. Les premiers n’osaient me toucher, mais ceux qui étaient derrière les poussaient ; leurs regards étaient si haineux, leurs yeux si hagards, que je craignis de recevoir quelque coup de stylet au moment où j’allais me retourner pour monter en voiture. Heureusement le postillon avait été soldat dans d’armée autrichienne, comme il me le dit ensuite ; dès qu’il me vit sur le marche-pied, il fouetta les chevaux, et partit grand train. J’arrivai à Trieste à deux heures du matin et me fis conduire à la grand’garde. Malgré l’heure avancée de la nuit, il y avait encore sur la place des groupes qui semblaient attendre quelque nouvelle ou l’arrivée d’un courrier. Je dis aux officiers ce que je savais de Milan, et me fis conduire chez le général comte Gjulai. Il ouvrit mes dépêches, me demanda des détails sur Vérone, sur l’état du pays que je venais de traverser, sur Milan et sur l’armée du maréchal. Je lui répétai les bruits qui couraient à mon départ de Vérone, et il m’ordonna sur l’honneur de n’en point parler. Je n’osai lui dire que, comme je n’avais reçu aucun ordre de cacher cette nouvelle, je l’avais déjà donnée aux officiers de la grand’garde. Pendant qu’il me parlait, nous entendîmes dans la rue un bruit de voix et des appels de gens qui paraissaient se rassembler. Le comte Gjulai alla tranquillement à la fenêtre et me congédia. Comme je sortais, je rencontrai dans l’escalier quelques jeunes gens qui montaient en courant. « Est-ce vrai, me dirent-ils en italien, la nouvelle que vous avez apportée de Milan ? » Je fus effrayé. « Moi, leur dis-je, j’ai apporté des dépêches, je ne sais ce qu’elles contiennent. » Une foule bruyante encombrait la rue. Je pensai qu’on venait demander au comte Gjulai des nouvelles de Milan ; mais je ne savais pas quelle espérance, quelle passion poussait cette population inquiète. Tous ces hommes étaient Italiens. Était-ce la curiosité ou le désir de la vengeance qui les amenait devant le palais ?… Je passai le reste de la nuit à me promener sur les places et dans les rues, écoutant chaque bruit, craignant de voir se former des rassemblemens l’émeute commencer et la ville en pleine révolte. Enfin le jour parut. J’allai trouver le confit Gjulai et lui dis en tremblant qu’ignorant qu’il voulait tenir secrètes les nouvelles de Milan je les avais données aux officiers de la grand’garde avant d’avoir été chez lui. Le mal n’était pas aussi grand que je l’avais cru. Son énergie, lui garantissait la tranquillité de la ville de Trieste, qui, du reste était bien intentionnée et ne pouvait faillir à la reconnaissance