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le lit était à peine défait et les rideaux de mousseline, doublés de taffetas rose et retenus par des nœuds de ruban, fermaient encore l’alcôve. Je relevai les candélabres, allumai les bougies puis, barricadant avec des chaises les portes en glaces, afin d’être réveillé à temps, si des soldats venaient piller pendant la nuit, je m’étendis sur les draps blancs et les couvertures de soie, appuyant ma tête sur les oreiller, garnis de dentelles.

Dès l’aube du jour, je me levai et allai sur le balcon ; la vue était magnifique. Au nord, la ligne extrême de l’horizon était dessinée par les cimes neigeuses des montagnes du Tyrol qu’éclairaient les premiers rayons du soleil ; le vent frais du matin secouait la rosée des arbustes en fleurs. Je parcourus les autres pièces de la villa : dans le salon, les meubles en bois doré, recouverts de riches étoffes de soie, étaient brisés et renversés par terre, au milieu des toiles de grands maîtres arrachées de leurs cadres ; des mosaïques de Florence, des débris de faïences dorées du XVe siècle, des manuscrits en parchemin couverts d’arabesques d’or, de grandes médailles antiques, gisaient sur le pavé en mosaïque, près de gravures de prix arrachées des albums. Dans la chambre du maître de la maison, le parquet était couvert de lettres, de cartes déchirées, d’objets de toilette et de vases étrusques en morceaux. Je traversai une autre pièce en marchant jusqu’aux genoux dans des amas de linge, de robes de soie et de dentelles ; les caisses d’argenterie encombraient les corridors ; les portraits de famille étaient déchirés à coups de baïonnette. Je descendis l’escalier et entrai dans une grande salle au rez-de-chaussée. Là, un piano brisé, des porcelaines du Japon, des vases sculptés, de superbes cristaux, des statues de marbre sans bras et sans tête couvraient pêle-mêle un pavé en mosaïque. Je passai devant le piano, mais je m’arrêtai, effrayé et saisi : un cadavre, celui d’un blessé qui s’était probablement traîné là pour mourir, était assis par terre, appuyé contre la muraille ; son sang souillait le parquet, et son regard éteint semblait narguer ces débris d’une vie de luxe et d’élégance.

Ayant trouvé dans une armoire quelques morceaux de pain, des macarons et un reste de salade dans un plat, j’allai m’asseoir dans le jardin sur le gazon, à l’ombre ; des grands pins, au milieu des bosquets d’hortensias roses et bleus, près d’une source qui jaillissait d’une grotte de stalactites ; je déjeunai tranquillement, emportai comme souvenir un petit verre en cristal dans lequel j’avais puisé de l’eau de la source, et me mis en marche, la carte à la main, vers Longara, ou je pensais trouver le maréchal. Je passai devant un château ou plusieurs de nos officiers blessés avaient été transportés ; j’allai les voir. L’un d’eux, du régiment de Latour, avait une singulière blessure : une balle lui était entrée sous la plante du pied et était sortie sur le cou-de-pied ;