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Telle est la loi souveraine de l’esprit humain, et M. Comte après l’avoir déduite par l’analyse, se flatte d’en trouver la confirmation dans l’histoire. Ainsi la civilisation actuelle s’est formée sous l’empire des croyances chrétiennes : c’est le moyen-âge, régime théologique ; son émancipation s’est accomplie par la réforme et la philosophie : c’est l’âge moderne, âge du régime métaphysique ; il reste à réorganiser la société tombée en ruines : ce sera, bien entendu, l’ouvrage de la philosophie positive.

Si cette loi est vraie, quelle conséquence faut-il en tirer sur l’existence actuelle et future des religions ? Évidemment, c’est que leur temps est passé : elles ont pu être utiles à une société au berceau ; mais une société civilisée n’en a que faire, elles ne peuvent que gêner son développement.

Ce n’est pas tout. On a distingué jusqu’à ce jour la religion naturelle d’avec les reliions positives. Diderot disait que tous les cultes sont des hérésies de la religion naturelle. En condamnant les formes variables de l’idée religieuse, il en retenait le principe. M. Auguste Comté ne voit dans Diderot qu’un esprit faible qui s’est arrêté en chemin. Pourquoi les religions positives sont-elles fausses ? Parce qu’elles prétendent révéler des mystères insondables, les mystères de l’absolu. Or, si l’absolu est inaccessible, la religion naturelle n’a pas un meilleur fondement que les cultes ; elle est sans objet : c’est une chimère décevante du cœur ou une orgueilleuse et stérile abstraction de l’esprit.

La conclusion évidente, c’est que la religion tout entière, dans son fond comme dans ses formes, révélée ou raisonnée, dogmes, cultes, sentiment même, tout doit périr, et que le nom même en doit être oublié. En un mot, M. Comte pourrait souscrire à ce mot expressif d’un disciple de Hegel, M. Feuerbach : « La religion de ’l’avenir, ce sera la non-religion[1]. »

Les philosophes positifs acceptent-ils la prophétie des jeunes hégéliens ? On attendrait volontiers cette rigueur d’une école qui se pique de hardiesse, et cependant il n’en est rien. En face de l’athéisme absolu. M. Comte a reculé. Cela honore son caractère ; mais il s’agit ici de son système.

Les philosophes positifs paraissent avoir compris une grande vérité qui les mènera loin, s’ils veulent la suivre jusqu’au bout : c’est que la racine de la religion est indestructible. Les sociétés naissent et périssent, les cultes se dissolvent ; l’homme reste ce que sa nature l’a fait, un animal religieux. Il suit de là qu’une philosophie qui n’explique

  1. Voyez l’ouvrage intitulé : Qu’est-ce que la religion ? par Hermann Ewerbeck, 1850, Paris, chez Garnier, Palais-National.