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prend à la Gorgona sont tarifées ordinairement à 8 piastres par bête, j’ai payé les miennes 16 piastres, et dès le soir même les mules en valaient 20. Quelques passagers du Téviot avaient avec eux des dames, accompagnées, comme toutes les dames en voyage, de grosses caisses qu’il est impossible de transporter à dos de mulet. Des Indiens les ont chargées sur leurs épaules et les ont portées de la Gorgona à Panama, distance de sept à huit lieues, au prix moyen de 25 à 30 piastres par caisse. Les Américains du nord, qui ont l’habitude des grands voyages dans le Far-West, font la traversée de l’isthme à un prix très modéré. Ils se réunissent par bandes de quinze à vingt, n’emportant avec eux que les bagages absolument nécessaires, et, prenant un guide, font la route à pied à travers bois. Arrivés à Panama, ces émigrans, que consume la soif de l’or, s’entassent dans des hôtelleries où chaque case renferme autant de locataires que le plancher peut en supporter, se nourrissent de riz et de thé en attendant le départ d’un steamer, et naviguent vers San-Francisco, couchés sur le pont, à la belle étoile.

Quand je suis arrivé à Panama, l’or ne perdait plus au change ; mais quatre pièces de 20 sous, huit pièces de 10 ou 16 pièces de 5 valaient une piastre. Quelques spéculations en petites monnaies avaient été déjà tentées, et réussissaient à merveille. Panama était encombré d’émigrans de toutes races, Chiliens, Péruviens, Colombiens ; mais les Américains des États-Unis étaient de beaucoup les plus nombreux. Chaque semaine apportait un flot de mille à douze cents passagers, si bien que les billets de passage à bord des steamers qui desservent la ligne de Panama à San-Francisco étaient en hausse. La spéculation s’en était emparée. Grace à l’intervention obligeante du consul anglais et au capitaine Stout, agent des paquebots américains sur le Pacifique, quelques-uns de mes compagnons de voyage et moi, qui lui étions recommandés, avons pu obtenir des billets au prix moyen de 1,300 francs. Les détenteurs, pour parler le langage du commerce, les vendaient couramment 2,000 à 2,200 francs. Les émigrans qui n’ont ni le loisir d’attendre ; ni la somme nécessaire pour acheter leur passage à un si haut prix, s’embarquent sur des navires à voile ; mais si le voyage ne leur revient plus qu’à 500 ou 600 francs, il dure de cinquante à soixante-dix jours. La valeur des objets de consommation avait atteint à Panama un prix excessif. Une livre de sucre inférieur pour la qualité à la cassonade de nos épiciers coûtait ici 30 sous ; une bougie, 1 franc ; ainsi du reste. On se loge comme on peut, heureux encore de trouver une chambre, un cabinet, un trou où l’on ait la faculté de s’étendre et de dormir par terre.

Le California, sur lequel j’ai quitté Panama le 5 mars, emportait à San-Francisco cinq cents Américains couchés indifféremment sur le