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pont ou dans la cale, tous vêtus de vareuses rouges et coiffés de grands feutres gris. Presque tous passent leurs journées à fumer ; quelques-uns causent, — c’est le plus petit nombre ; — tous jouent. Pas un d’eux ne parle français ; quelques-uns, parlent l’espagnol, plusieurs comprennent l’allemand. Le plus grand silence règne parmi ces bandes. Nos cinq cents passagers sont pour la plupart grands, secs, vigoureux et doués d’une santé de fer ; presque tous se destinent au travail de l’extraction de l’or dans les placers ; quelques-uns vont tenter fortune à San-Francisco ; beaucoup se rendent en Californie dans la seule pensée de jouer, et on sait que ce ne sont pas les maisons de jeu qui manquent dans ce pays-là.

Le 26 mars, après avoir relâché un jour à Acapulco, notre stamer aborda à San-Francisco, et les cinq au six cents passagers du California se dispersèrent comme une volée d’oiseaux. Je venais enfin de mettre le pied sur cette terre féerique, vers laquelle tant d’hommes ont les yeux de l’esprit tournés, sur cette Californie qui est pour plusieurs la patrie des chimères réalisées, pour d’autres aussi le pays des plus amères déceptions. Au moment de l’arrivée du California, on pouvait dire de San-Francisco que c’était une ville ruinée. Point de transactions, point d’affaires ; le port, le rivage, les magasins, étaient encombrés de marchandises qui ne trouvaient point d’acheteurs. L’activité et le mouvement n’existaient plus qu’autour des cafés et des maisons de jeu ; mais là rien ne chômait. La spéculation sur les terrains, où tout le monde, manœuvres et banquiers, s’était follement jeté, avait compromis les fortunes qui semblaient le plus solidement assises. Les transactions, la vie commerciale, ne pouvaient reprendre, disait-on, qu’au retour des travailleurs que la saison des pluies chasse des placers.

La ville de San-Francisco, on le sait, s’élève en amphithéâtre, à mi-côte d’une colline très raide, au fond d’une grande baie, où meurent les flots de l’Océan Pacifique. Derrière la ville se prolongent d’autres collines entièrement pelées. Les maisons que l’incendie a dévorées plus tard étaient presque toutes bâties en boisa Les rues latérales à la baie sont très larges, droites et de niveau ; les rues perpendiculaires présentent à l’œil l’aspect d’une côte raide et difficile, où la circulation des voitures est impossible. La voirie californienne n’a pas encore eu le temps de naître. Les rues restent telles que le hasard les a faites ; la pioche et le balai n’y passent jamais ; et ces mille débris que les maisons expulsent de leur intérieur s’y entassent toujours. En été, la poussière et les émanations fétides y sont intolérables ; en hiver, quand viennent les pluies, les rues se changent en marais ; où les piétons et les mules enfoncent à chaque pas jusqu’au jarret. On a vu, dans certains