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que le parti montagnard emploie avec le plus de complaisance contre le suffrage universel réformé, c’est que nous avons, dit-il, reconstitué le pays légal. Nous nous souvenons même d’avoir entendu ce mot dans la bouche du général Cavaignac. C’est une grande inanité qu’un pareil argument. Avant comme après la révolution de février, avant comme après la réforme du suffrage universel, il y a eu toujours un pays légal. Le suffrage universel est le suffrage du plus grand nombre, mais ce n’est pas le suffrage de tout le monde. Les femmes et les mineurs sont exclus. Or, dès qu’il y a une seule exclusion, il y a un pays légal. On aura beau faire, on aura beau dire que tout homme venant en ce mode est électeur ; ce ne sera jamais là qu’une métaphore. Ne parlez donc plus du pays légal avec tant d’horreur : vous en aviez fait un ; nous en avons fait un autre, et nous croyons le nôtre beaucoup meilleur que le vôtre, sans pourtant le croire définitif : il n’y a jamais rien de définitif dans les lois d’un peuple vivant.

Autre observation. Le manifeste montagnard parle de la révision de la constitution, et il songe déjà à s’y opposer. Il a raison. La constitution de 1848 a été faite dans des vues d’instabilité qui donnent une grande prise à l’anarchie : il est donc tout simple que le parti montagnard veuille maintenir la constitution de 1848 ; mais nous ne concevons pas pourquoi le parti modéré ne songe pas, de son côté, à cette révision, que craint et que veut empêcher le parti montagnard. Nous ne concevons pas pourquoi le parti modéré ne sacrifie pas à la révision de la constitution ses dissentimens et ses caprices. S’il importe au parti montagnard que la constitution soit maintenue, il importe au parti modéré que la constitution soit révisée ; nous voudrions que l’intérêt que met le parti montagnard à empêcher la révision de la constitution enseignât un peu au parti modéré l’intérêt qu’il doit mettre à cette révision.

Revenons au manifeste de la montagne de Paris : la montagne de Paris explique fort bien comment, si elle s’était retirée et si elle avait quitté ses siéges parlementaires, cette seconde retraite sur le mont sacré ou au Conservatoire n aurait pas même produit l’effet de la première ; on ne serait pas même arrivé à un avortement ; il n’y aurait rien eu, absolument rien. Ici le manifeste donne de ce repos du peuple une explication grotesque à force d’être pompeuse. Le peuple est une sorte de dieu d’Épicure, immobile, impassible, et qui eût laissé les montagnards s’agiter dans leur impuissance. « Le peuple, dit-on avec un admirable sérieux, a plus grandi dans ces deux années de république qu’en des siècles de monarchie : il sait ce qu’il veut et où il marche. Dans sa haute raison, dans le calme de sa conscience, il fixe l’heure de son intervention suprême, et quand il est résolu à faire acte de volonté de souveraineté, il agit spontanément, rapidement… La loi n’est sérieusement applicable que dans deux ans, au moment du renouvellement de l’assemblée et du pouvoir exécutif : le peuple s’est dit qu’il pouvait attendre, il attend ! » Et la montagne de Paris attend aussi avec 25 francs par jour, et, c’est là ce qui désespère la montagne de Londres ; qui attend moins commodément. Puis, que dites-vous de ce fatalisme d’un nouveau genre ? Les montagnards, en bons mahométans, se croisent les bras sur leurs sièges curules ; car de deux choses l’une : ou le peuple veut, ou le peuple ne veut pas. S’il veut, il osera, il, s’insurgera, et les montagnards profiteront de la victoire ; s’il ne veut pas, s’il reste calme, que pourraient faire