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les montagnards ? Et qu’est-ce que l’homme en face de Dieu ? Les montagnards de Paris sont pénétrés de la vérité du vers de Voltaire dans Mahomet, quand Séïde se targue auprès de Mahomet d’avoir devancé son ordre :

...... Il eût fallu l’attendre !

répond Mahomet. Les montagnards de Paris ne veulent pas être des Séides : ils attendront l’insurrection populaire aussi long-temps que le Peuple voudra l’attendre ; ils ne la devanceront pas.

Nous avons vu à l’aide de quel heureux mysticisme la montagne de Paris se fait un mérite de cette placidité dont s’indigne la montagne de Londres ; voyons maintenant, à côté du tableau de ce qu’elle n’a pas fait, parce que le peuple ne l’a pas voulu, le tableau de ce que la montagne de Paris aurait fait, si la majorité l’avait voulu. Les velléités de la montagne ne sont guère rassurantes, et la majorité fera bien de tenir toujours le parti en bride. Nous trouvons en effet dans les vœux de la montagne un programme politique qui nous ramènerai bien vite aux plus beaux jours du gouvernement provisoire. Ainsi on nous dit que la révolution de février « a voulu assurer à tout membre du corps social les avantages de la solidarité, l’indépendance dans la profession, l’existence par le travail individuel ou collectif. » Voilà assurément des mots bien vagues, et nous ne concevons pas bien comment, si dans la société tout le monde est solidaire, chacun cependant sera indépendant dans sa profession. Nous craignons bien aussi que ces mots l’existence par le travail individuel ou collectif ne veuillent dire qu’à côté de ceux qui voudront travailler pour vivre, il y aura ceux qui voudront vivre aux dépens du travail des autres, du travail collectif. Ailleurs nous voyons encore que la révolution de février a voulu et que la montagne veut l’extinction de la misère et l’abolition du prolétariat : paroles insensée et criminelles ! insensées, parce qu’il ne s’agit de rien moins que de détruire le mal ici-bas, c’est-à-dire, de refaire l’humanité ; paroles criminelles en même temps parce qu’en faisant croire que l’impossible est possible, on soulève les passions de la foule contre tous ceux.qui ne donneront pas au monde cette impraticable félicité, c’est-à-dire qu’on éternise la révolte et l’anarchie.

Il n’y a pas une des chimères destructrices de 1848 auxquelles la montagne ait renoncé. Elle veut encore l’impôt progressif, c’est-à-dire que l’arpent du riche paie plus que l’arpent du pauvre : non pas que l’arpent du riche rapporte plus que l’arpent du pauvre, il rapporte moins ; mais l’arpent doit payer à cause de la personne qui le possède, et non à raison du revenu qu’il pro duit. La montagne veut « l’accès du crédit ouvert à tous les citoyens, et par le crédit le droit au travail. » Ici nous devons remarquer en passant la modification apparente que la montagne fait à la grande maxime du droit au travail. Les ateliers nationaux ont gardé un mauvais renom ; la montagne les supprime. L’état ne fera plus travailler comme en 1848 ; seulement l’état prêtera pour qu’on travaille. — Mais ceux qui recevaient un salaire pour travailler et qui ne travaillaient pas ne deviendront-ils pas, dans le nouveau système, ceux qui emprunteront pour travailler et qui ne travailleront pas ? Croire qu’ils se trouveront plus obligés comme emprunteurs que comme salariés, c’est une grande illusion. Ces deux phrases-ci, faites-moi travailler pour vivre, prêtez-moi de quoi travailler, reviennent purement et simplement à cette troisième