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qui lui était imposée par la diète de Kremsier, elle est restée fidèle au principe d’égalité civile qui a été le premier cri des populations au lendemain de mars.

La propriété et par conséquent la société a subi depuis lors des modifications. M. de Metternich les avait jugées nécessaires, il les avait entreprises ; l’honneur de les achever était réservé à ses successeurs. Les paysans de l’Autriche, étaient dans un état voisin de la servitude, grevés de dîmes et de corvées, soumis à la juridiction de leurs seigneurs, sont devenus propriétaires de la terre dont ils n’étaient que les tenanciers ; ils ont cessé d’être corvéables et de payer la dîme ; ils ne dépendent plus que de la juridiction de l’état. L’émancipation des propriétés et des personnes, en un mot l’établissement de l’égalité civile est un fait que le gouvernement autrichien a, dès le lendemain de la révolution ; accepté comme accompli et irrévocable, et là où règne l’égalité civile, comment douter de la liberté politique ? Ces deux principes forment la base des constitutions que le cabinet est en train d’accorder aux diverses provinces de l’empire et qu’il vient de donner à la Croatie. La Croatie a attendu long-temps, il est vrai, ce bienfait, et si l’on considère les services qu’elle a rendus à l’Autriche en Italie et en Hongrie, l’on pourra concevoir que les Croates aient, dans ces derniers temps, montré quelque impatience. On disait, on imprimait que le ban Jellachich, retenu à vienne sous prétexte de discuter avec le gouvernement la constitution de la Croatie, était en réalité gardé à vue et prisonnier du ministère. Quelques-uns accusaient le ban lui-même de s’éloigner à dessein de son pays, afin d’éviter les reproches de ses compatriotes.

Nul doute que beaucoup d’esprits ne fussent en défiance à la fois contre le cabinet et contre le ban, après tous les retards que l’élaboration de cette constitution avait éprouvés. Le récent décret de l’empereur qui proclame enfin cette législation tant attendue a rassuré les esprits et dissipé les préventions ; Jellachich est rentré dans Agram en triomphateur, et l’inauguration des lois nouvelles a été une fête nationale à laquelle toutes les populations de la Croatie et de la Slavonie ont pris part. En vertu de ce décret impérial, la Slavonie et la Croatie sont et demeurent irrévocablement séparées du royaume de Hongrie ; la langue illyrienne est reconnue comme langue de l’administration indigène, les attributions du ban sont plus étendues que celles d’un gouverneur ordinaire : il est en quelque manière vice-roi, il choisit lui-même son conseil, qui est une sorte de conseil d’état ; des tribunaux sont institués sur le pied de ceux qui fonctionnent dès à présent dans l’archiduché d’Autriche ; enfin, comme couronnement et garantie de ces concessions, la diète nationale est reconstituée sur un pied respectable avec tous les pouvoirs auxquels une assemblée provinciale peut prétendre. Le décret impérial fait plus encore dans une question très délicate, et qui est étroitement liée à l’avenir des Slaves méridionaux : il étend aux colonies militaires, qui sont en grande majorité composées de Slaves illyriens, le droit civil et politique de la Croatie. Les soldats de la frontière sont gratifiés du droit de propriété, et eux aussi vont entrer sous le régime parlementaire. Les colons armés, qui forment le tiers de l’infanterie autrichienne, auront, eux aussi, leur diète à part. Nous avons une armée qui vote ; on va voir dans les colonies autrichiennes une armée qui parle et qui délibère.