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son existence de précepteur, mais pour peu de temps. Toute cette période est pour lui pleine d’angoisses. Il sentait la nécessité de se créer une position indépendante, et il ne savait trop de quel côté se tourner. Après tant d’éloges reçus à l’université, il lui restait à apprendre la vie, et il y entrait avec bien des exigences et des espoirs immodérés, avec une appréciation bien peu exacte de ce que les hommes devaient faire pour lui, et ne pouvaient manquer de faire. Ce n’est pas là un reproche à son adresse, mais bien à celle de la jeunesse, des succès de collège et du rôle immense que nous donnons dans l’éducation à l’émulation, c’est-à-dire à la vanité. Campbell avait compté sur des protecteurs qui lui firent défaut. Plus d’une fois il parla avec aigreur de l’égoïsme des hommes, long-temps il dut expier en lui les fautes des autres. — Tour à tour il songea à se faire ministre, médecin, commerçant, homme de loi, chimiste. Son biographe a pris grand’peine pour le défendre contre l’accusation d’inconstance. Jusqu’à un certain point il a raison. Ce n’est pas que le jeune homme fût inconstant, à proprement parler ; il y avait seulement en lui absence de toute vocation fixe. Avec les visées qu’on lui avait appris à se former, il était fort embarrassé pour trouver ce qu’il cherchait. Ici encore, l’idéal lui plaisait plus que la réalité. S’il s’éprenait de telle ou telle profession, c’était parce qu’il y voyait quelque chose de poétique, parce qu’il évoquait en esprit la position qu’elle pouvait lui donner. Alors qu’il songe au commerce, il est amusant de le voir se prouver à lui-même et prouver à un ami comment le commerce est une noble chose, un puissant instrument de civilisation. S’il avait eu l’idée d’étudier le droit, c’était après avoir assisté aux cours du professeur John Miller, dont les opinions libérales l’avaient entraîné, et à qui il attribue en grande partie les prédilections politiques de toute sa vie. La philosophie du droit lui paraissait alors un magnifique champ pour le déploiement des capacités humaines ; mais quand, au lieu d’atteindre de prime-saut le but, il fut question d’y arriver en travaillant dans une étude, le découragement vint. Il prit en haine et le droit et la longue route à parcourir, et peut-être aussi la position du clerc qui doit vivre avec l’idée que, dans sa spécialité, il a tout à apprendre et est inférieur à tous. Ce qu’il y a de terrible dans les succès de collège, c’est qu’ils développent chez le lauréat la douce conviction que, tel qu’il est, il est déjà digne de la renommée ; avec cette foi-là, on est prédestiné à devenir littérateur, par cela seul qu’on est incapable de se plier aux longs noviciats de toute autre carrière.

De meilleurs jours cependant approchaient. Édimbourg comptait alors au nombre de ses hommes de marque le docteur Anderson, auteur des Vies des Poètes anglais. Par hasard, Campbell rencontra dans la rue un ami qui allait faire visite au docteur, et il l’accompagna jusqu’à la porte de ce dernier. À ce moment, les filles d’Anderson se trouvaient