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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/772

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Muir et Gillie, et à prend en haine la société qui a pu condamner des hommes à la parole éloquente, aux intentions si héroïques. Pendant plusieurs mois, il garde une sombre misanthropie, qui le rend méconnaissable à ses amis. Toutes ces manières d’être ne sont guère néanmoins que les voies et moyens de la jeunesse en général. Chez le jeune Campbell en particulier, la seule chose qui fasse saillie, c’est la passion d’écrire des vers. Je me trompe ; dans ses lettres s’affiche une autre tendance, assez commune, il est vrai, aux premières années, mais qui, chez lui, domine à l’excès : je veux parler des protestations et démonstrations d’amitié qui les remplissent. Toutes ces affections sans doute semblent sincères, — dès son enfance Campbell paraît avoir été porté aux vifs attachemens ; — mais il est constamment préoccupé de l’effet que ses affections peuvent produire. Sans cesse il a peur que ses silences n’aient été mal interprétés, sans cesse il craint de n’avoir pas assez dit combien il aime. Il y a en lui un souci immodéré de l’approbation d’autrui.

J’ai parlé des universités écossaises et de leurs courtes années scolaires. Les étudians pauvres, si nombreux dans ces universités, ont coutume d’employer leurs longues vacances à donner des leçons, afin d’amasser ainsi les moyens de continuer leurs études. À la suite de sa quatrième session académique, Campbell suivit cet exemple. La perte d’un procès venait de réduire encore les ressources de son vieux père et les actives recommandations de ses professeurs lui procurèrent un emploi momentané de précepteur dans une des Hébrides, à l’île de Mull. Une maison solitaire à la pointe d’une île perdue aux limites du monde ; autour de lui, « la vague blanche écumant contre le ciel lointain,… les sombres rochers bleus entassant leur grandeur dénudée, la tempête sonore balayant les rivages hérissés[1] ; » au loin enfin, le sourd bruit d’un gouffre marin, et çà et là les aigles perchant sur la plage au milieu des nuages : — il y avait là de quoi mettre une ame jeune face à face de la nature. Campbell eut en effet des mouvemens d’enthousiasme : il fit provision d’images ; mais la tristesse et les regrets vinrent se jeter.à la traverse. « J’écrivis, dit-il lui-même, sur mon exil un poème aussi triste que les Tristes d’Ovide. » L’homme est là. Pendant toute sa vie, je retrouve bien plus chez lui la faculté de jouir par anticipation d’une espérance, d’une non-réalité, que la puissance de jouir virilement de la réalité, en s’intéressant à ses richesses, que nul œil ne comptera jamais. À l’avance, il rêve et il s’exalte à l’idée de trouver les choses conformes à un rêve qu’il s’est fait lui-même. Devant les choses telles que Dieu les a faites, il regrette le passé, il songe à ce qu’il n’a plus.

À sa sortie définitive de l’université Campbell recommença à Downie

  1. Fragmens d’une élégie écrite à Mull.