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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/785

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augmenter les dépenses du poète, et sa santé s’altéra tellement qu’à diverses reprises il fut obligé de changer d’air ou d’aller prendre des bains de mer. Ce n’est pas cependant que ses gains fussent trop minimes, il recevait 100 francs par semaine pour traduire la correspondance étrangère du Star ; il fournissait des articles au Philosophical Magazine, et son poème de l’Espérance contribuait encore de temps à autre à augmenter la somme de ses revenus ; mais il aimait à vivre sur un certain pied, et il ne savait pas compter.

Toutes ces angoisses cependant eurent un terme. Si les premiers succès du jeune écrivain lui avaient été funestes en le lançant dans un monde trop élevé et peut-être en développant chez lui trop d’exigence, ils lui avaient aussi procuré des amis qui ne s’endormaient pas. Dès l’année de son mariage, Campbell, par suite de leurs bons offices, s’était vu offrir deux chaires de professeur : l’une à Vilna, qu’il avait refusée en raison de ses principes politiques ; l’autre en Angleterre, qu’il n’avait point acceptée non plus pour des motifs que n’indique pas son biographe. À ces premiers efforts pour le mettre à flot, succédèrent bientôt des tentatives plus heureuses : presqu’en même temps ses amis organisèrent, pour une nouvelle édition de son poème, la grande souscription qui lui rapporta plus de 1,000 liv. sterl., et une pension de 5,000 francs lui fut accordée par le gouvernement sans qu’il l’eût sollicitée, sans qu’il ait même jamais pu savoir à quel patronage il la devait. À partir de ce moment, la lutte du poète contre la misère était terminée. Peu après parut Gertrude de Wyoming ; plus tard, un de ses cousins, un Campbell, lui laissa en mourant 125,000 francs, par admiration pour le dévouement avec lequel il avait soutenu sa mère ; un ingénieur célèbre, Thomas Telford, lui fit un autre legs ; enfin ses écrits et ses lectures lui furent largement payés. Il est temps de passer de l’homme à ses œuvres.

Depuis les Plaisirs de l’Espérance jusqu’à Gertrude de Wyoming, c’est-à-dire pendant neuf ans, Campbell n’avait produit que des pièces détachées. À elles toutes, elles formaient un mince bagage, et l’enfantement n’en avait pas moins été une grande affaire pour le poète ; on en jugera par une anecdote. Pendant sa visite au château de Minto, Campbell roulait dans sa tête sa Ballade de Lochiel. « Une nuit qu’il s’était couché de bonne heure, il s’éveilla soudain en répétant : Les événemens à venir jettent devant eux leur ombre. C’était précisément là la pensée qu’il avait en vain poursuivie pendant toute la semaine ; il sonna à plusieurs reprises pour appeler. Enfin un domestique se décida à paraître. Le poète était assis un pied dans son lit et l’autre à terre, avec un air mêlé d’impatience et d’inspiration. — Monsieur est-il malade ? demanda le domestique. — Malade ! je n’ai jamais été mieux de ma vie. Laissez-moi de la lumière, et faites-moi le plaisir de me préparer