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de sa générosité : elle fut telle que, malgré ses gains considérables, malgré les legs qu’il avait reçus et les 12,500 francs que ses poésies continuèrent à lui rapporter annuellement jusqu’à une époque fort voisine de sa mort, il se vit presque réduit sur ses derniers jours à publier de nouveau ses œuvres par souscription. Il fallut qu’un nouveau legs bien inattendu vînt l’arracher à cette nécessité et à ses embarras pécuniaires ; encore ne lui épargna-t-il pas une grande épreuve : celle de mourir loin des siens, à Boulogne, où il s’était retiré pour vivre plus économiquement avec une de ses nièces, dont il s’était chargé.

Ce fut le 15 juin 1844 qu’il s’éteignit. Sa fin fut digne, elle fut rehaussée de résignation et de sérénité. Je ne me le déguise point : en tâchant de mettre en lumière les traits qui m’ont paru dominer dans la physionomie de Campbell, j’ai été forcé de laisser de côté plusieurs lignes secondaires, ou du moins de ne pas leur donner une attention proportionnée à leur valeur relative. À tout prendre, les choses agréables abondaient dans sa nature. Campbell était gai, affable, spirituel et plein de saillies. Il soutint avec dévouement sa famille et aima avec constance ses amis. On aurait fort à faire, si on voulait compter tous les bons momens que les autres lui durent. Sa vieillesse surtout, malgré ses demi-teintes d’étourderie, le présente sous un aspect fort attrayant. Les lettres où elle a laissé ses confidences ont les nuances riches et fines de l’automne ; elles sont reconnaissantes de la moindre joie ; elles reflètent les longues perspectives du soir et toutes les indicibles visions de l’intelligence qui connaît ses limites et qui entrevoit ainsi le Dieu mystérieux dont la main mesura à chacun son rôle. Mieux que la poésie même de l’écrivain, elles peuvent nous révéler le secret de son talent, le sens dans lequel son organisation était vraiment poétique, car tout y est plus vrai, plus tempéré. Les souvenirs des émotions passées y contiennent chaque chose dans sa juste valeur relative, et, en saisissant mieux la nature sur le fait, on voit plus clairement comment sa vie était toute faite de sensations, comment il vivait pour attendre et savourer des sensations, comment c’était pour lui un bonheur de se sentir attendri par des souvenirs, animé par de joyeux propos, exalté par une bouffée d’enthousiasme.

En résumé, que faut-il penser de son œuvre ? Pour commencer par ce qu’il n’eut pas, sa poésie ne traduit point de ces profondes émotions où se condense toute une existence. En lui, je n’aperçois nullement ce qui me semble l’alpha et l’oméga du génie, ce réalisme impatient de tout mensonge, qui veut voir les choses comme elles sont, et qui cherche en elles la poésie, non pas en les idéalisant, c’est-à-dire en les appauvrissant, en y supprimant ce qui déplaît, mais en s’efforçant de découvrir leurs mystérieuses utilités, les liens qui les rattachent à l’infini, les divines missions qu’elles ont à remplir dans l’ordre général.