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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/799

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Tout au contraire, Campbell ne fut en général que le chantre des brillantes illusions et les douces méprises du cœur, le poète épris des mirages et des belles apparences, qui sont comme un univers à côté de l’univers. Il se plaisait aux variations que l’on peut broder sur le thème de la réalité : quand il ne chantait pas ses rêves, il était porté à ces dénigremens de l’idéalisme qui s’indigne parce que les faits ne sont pas conformes à ses types de perfection, et parce qu’il ne prend pas lui-même la peine d’étudier les nécessités auxquelles ils répondent. Sous plus d’un rapport, il fut un Byron adouci. Si dans sa poésie on considérait seulement les facultés intellectuelles et.morales qu’elle manifeste, le degré de développement auquel l’être humain était arrivé chez le poète, il faudrait dire qu’elle a peu de valeur, car il n’eut certainement pas à un haut point la supériorité qui consiste à sentir plus gravement que d’autres, à apercevoir des grandeurs dignes de respect là où la foule n’apercevait rien, à faire jaillir enfin la poésie de ce qui semblait vulgaire aux yeux vulgaires. Si, au contraire, on envisage dans ses vers le talent de transmettre des impressions et de retracer des tableaux, tout change, et Campbell apparaît comme un grand maître. Il a souverainement le don de choisir et d’harmoniser. Comme mise en scène, ses petites pièces sont le comble de l’art. Son Hohenlinden, son Vaisseau de haut bord lancé à la mer, et les premières strophes de son Bateau-Fantôme (Death boat of Heligoland) n’ont peut-être pas été dépassés. Veut-il peindre une bataille par exemple, il pourra n’être frappé que par des traits qui auraient pu frapper d’autres que lui ; mais il saura voir à la fois tous les traits que d’autres n’auraient point vus du même coup, il saura laisser de côté les inutilités, et il produira un tableau qui saisira, qui résumera, évoquera mille émotions, et qui, dans l’esprit du lecteur, produira ainsi une harmonie.

C’est beaucoup : c’est bien là de la poésie authentique ; est-ce assez pour que le succès immense du poète n’ait pas aujourd’hui quelque chose d’extraordinaire à nos yeux ? Je ne le pense pas. La gloire ne peut plus être à si bon marché. Autrefois, quand les écrivains ne songeaient : qu’à bien dire ce n’était pas la parole qui gouvernait. Tandis qu’ils s’amusaient à cultiver leurs belles fleurs, les capitaines et les princes fâchaient d’être des hommes. Maintenant, c’est la parole qui gouverne, elle fait planer sur nos têtes de grands dangers, elle nous inspire des craintes, et par la force des choses nous sentons vaguement la nécessité d’organiser comme un vaste système de surveillance, pour la forcer à se prendre au sérieux. Dieu sait qu’à l’heure qu’il est, il ne manque pas d’hommes tout disposés à passer leur vie sans lui donner de but plus élevé que celui de plaire. Dieu sait que les masses sont aussi disposées que jamais à réserver toute leur admiration pour ceux qui n’ont que les idées de tous, les goûts de tous, la conscience de tous ; mais au-