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— Et… dit Nicolas en relevant la tête, une de vous, mesdames, est sans doute sa mère ?

— Ni l’une ni l’autre… elle est d’un sang…

L’une des dames fit signe à l’autre de ne pas achever.

— Oh ! d’un beau sang ! dit Nicolas après avoir attendu vainement la fin de la phrase… Que son père doit être heureux !

— Son père ne l’aime pas, parce que c’est une fille… et qu’il espérait…

Un second coup d’œil de l’une des dames réprima l’indiscrétion de l’autre. En ce moment, le coche s’arrêta devant une prairie au fond de laquelle on apercevait un château. Une barque vint chercher les dames et la jeune fille, qu’une voiture armoriée attendait sur la berge.

— Que je l’embrasse une seconde fois ! dit Nicolas.

On le lui accorda par pitié pour son chagrin, bien que cela parut cette fois quelque peu indiscret. En embrassant la jeune fille, Nicolas tira une fleur du bouquet qu’elle portait, et la mit dans un livre. Le coche avait repris sa marche vers Sens.

— Quel est ce château ? dit. Nicolas à un marinier.

— C’est Courtenay.

Il était donc vrai : la dame inconnue était la célèbre Septimanie, comtesse d’Egmont, la fille de Richelieu, l’épouse d’un prince qui n’avait pas su se donner d’héritier. — Tout s’expliquait dès-lors, et il regretta les récits imprudens qu’il avait faits de cette aventure, car s’en déclarer le héros, ce ne pouvait être ni très honorable ni très prudent. Ce ne fut qu’en 1793 que Nicolas osa raconter le dernier épisode ; le premier avait paru en 1746, mais déguisé de telle manière, qu’on ne pouvait en reconnaître les personnages. De telles aventures étaient fréquentes à cette époque, où elles eurent lieu quelquefois même au consentement des maris, soit dans l’idée de conserver des titres ou des privilèges dans une famille, soit pour empêcher de grands biens d’aller à des collatéraux par suite d’unions stériles.


XI. – ZEFIRE.

Après l’histoire de ce caprice de grande dame, il faudra descendre bien bas dans la foule, il faudra monter bien haut dans les sentimens pour s’expliquer les circonstances bizarres du récit que nous avons à faire. Après la mort de Mme Parangon, nul épisode ne fut plus douloureux dans l’existence de l’écrivain ; et il l’a reproduit lui-même sous la triple forme du roman, du drame et des mémoires. Ceci se rapporte encore à l’époque où, toujours ouvrier compositeur, il n’avait encore publié aucun livre. Il dut sans doute à cette aventure l’idée de l’un de ses premiers ouvrages.