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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/846

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l’histoire qui dominent tous les faits particuliers avec la liberté des agens moraux ? Il y a là un nuage qu’on pourra bien peut-être quelque peu éclaircir, mais non entièrement dissiper.

Si ce sont là des vérités incontestables, qui ne voit qu’un système complet, universel, embrassant tout, expliquant tout, n’est qu’une chimère ? On dira : Mais alors tous les systèmes, et ceux-là même que vous faites profession d’admirer le plus, les systèmes de Platon, de Descartes et de Leibnitz, sont donc faux ? Oui, sans doute, tout système est, en un sens, nécessairement faux, et cela est aisé à démontrer. Comment se fait un système ? l’histoire de la philosophie nous l’apprend. Celui qui met la main à une pareille entreprise aspire ayant tout à l’unité, à l’homogénéité absolues. Or, l’esprit humain renferme, non pas une seule faculté infinie, parfaite, mais un certain nombre de facultés diverses et limitées, qui se bornent, se soutiennent et se tempèrent réciproquement. Que fait le philosophe ? Il choisit une des puissances de l’esprit humain, celle qu’il manie avec le plus de force ou d’aisance, tantôt les sens, tantôt la raison pure, tantôt l’imagination ou le sentiment, et, excluant comme inutiles toutes les autres puissances de la pensée, donnant à celle qu’il a préférée une portée infinie, l’employant sans mesure et sans contre-poids, il bâtit tout à son aise un système admirable qui le charme de son unité, qui l’éblouit par sa simplicité et par sa grandeur. Ce philosophe s’appelle tour à tour Aristote, Spinoza. Malebranche. A-t-il le goût et le génie de l’expérience ? il inclinera vers la philosophie des sens ; avons-nous affaire à un esprit amoureux de l’abstraction ? il se précipitera dans les témérités panthéistiques ; ou si c’est une de ces ames tendres et pieuses qui se dérobent au joug de la logique par la force du sentiment, elles tombera dans le mysticisme.

On s’explique maintenant que le cercle des systèmes ne soit pas infini ; il est borné comme le nombre des puissances de l’esprit humain. On peut transformer, agrandir, perfectionner chacun des quatre ou cinq grands systèmes vraiment originaux qui sont en germe dans toute intelligence d’homme ; mais je dis qu’on n’inventera pas un système absolument nouveau. J’ose défier le génie lui-même de construire un idéalisme plus puissant que celui de Platon ; en fait de sensualisme tempéré, on ne dépassera pas Condillac, et le matérialisme a depuis des siècles atteint toute la triste perfection dont il est susceptible.

S’il est vrai qu’un système soit une chose absolument impraticable, s’il est vrai que tous les systèmes essayés par les philosophes aient péri et dû périr, s’il est vrai que le cercle des constructions synthétiques soit borné, s’il est vrai enfin que tous les systèmes concevables soient aujourd’hui épuisés, peut-on s’étonner que des philosophes profondément pénétrés de toutes ces vérités, convaincus plus profondément