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Oh ! alors, nous nous empresserons de dire comme eux que toute philosophie digne de ce nom aboutit à un système ; mais ce n’est pas ainsi qu’ils entendent les choses. Demandez à M. de Schelling et à ses amis, demandez aux continuateurs de Hegel ce que c’est qu’un système ? Ils vous diront que c’est un ordre de conceptions rigoureusement liée les unes aux autres, et qui expriment dans leur enchaînement l’ordre réel et absolu de tous les êtres, ou bien encore que c’est une explication universelle, adéquate à l’infinie réalité. Il faut donc, à ce compte, qu’un système embrasse et explique Dieu, la nature et l’humanité, le réel et le possible, le passé et l’avenir ; il faut qu’il commence par le commencement des choses et finisse par leur fin, qu’il soit l’alpha et l’oméga.

Voyez, disent-ils, notre philosophie : ne partons-nous pas d’un principe unique, d’où se déduisent d’une manière géométrique une infinité de conséquences ? Notre point de départ une fois admis, y a-t-il sur la terre et dans le ciel un mystère inexpliqué ? ignorons-nous quelque chose ? Non. Voilà donc un vrai système. C’est ainsi que l’ont entendu tous les grands philosophes, témoin Platon, Aristote, et, de nos jours, Descartes, Spinoza, Leibnitz, lesquels ont prétendu expliquer, non pas ceci ou cela, mais tout.

Nous pourrions peut-être bien prier ici nos adversaires de faire quelques réserves, sinon pour les plus hardis philosophes, au moins pour les plus sages, pour Socrate, par exemple, et même pour un penseur cher à l’Allemagne, Emmanuel Kant ; mais allons au fait. Nous disons donc qu’un système ainsi entendu est une chose absolument impossible, ou, si nos contradicteurs aiment mieux, que pour rendre un tel système possible ; il faudrait cette petite condition, que l’esprit humain fût infini. Admettez vous que l’esprit humain n’a pas de limites, ce qui revient à dire que l’homme est Dieu ? Aussitôt toute discussion cesse entre nous. On ne discute ni avec des dieux ni avec des fous. Quiconque discute reconnaît que son esprit est borné, et dès-lors comment se refuser à convenir que les œuvres de cet esprit borné doivent participer de sa nature ? Oui, quels que soient les progrès que l’avenir réserve à la science humaine, elle aura toujours des ombres et des limites. J’appelle limites de l’esprit humain les problèmes qui passent sa portée : qui a jamais résolu, qui résoudra jamais complètement le problème de la création ? et, sans parler d’un si haut mystère, quel physicien a jamais su, quel Newton saura jamais comment se communique le mouvement ? Voilà un exemple de problèmes insolubles. Je dis aussi qu’il y aura toujours des ombres dans la science ; je veux parler de ces terribles difficultés qu’on rencontre à chaque pas pour mettre d’accord des vérités bien établies en elles-mêmes, mais dont on ne voit pas le lien. Ainsi comment concilier les lois générales de