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II

Après cette rapide esquisse de l’école spiritualiste, nous n’avons pas besoin d’expliquer pourquoi l’histoire de la philosophie a tenu et tient encore une si grande place dans ses travaux. Embrasser l’ensemble entier des vicissitudes de l’esprit humain, depuis les premières lueurs de la réflexion qui s’éveille dans l’Inde jusqu’aux combinaisons les plus savantes de la spéculation moderne, depuis Kapila jusqu’à Hegel, déchiffrer tous les monumens qui subsistent, recueillir tous les débris des monumens disparus, retrouver l’esprit de mille systèmes aujourd’hui oubliés, tout traduire, tout éclaircir, tout comparer, tout juger, voilà l’entreprise vraiment grande que la nouvelle école s’est proposée, il y a trente-cinq ans, et qu’elle a poursuivie avec assez de persévérance pour qu’on puisse dès aujourd’hui entrevoir’ le terme de son accomplissement. De grandes parties sont achevées. Ainsi, on peut dire que cette longue suite d’années pendant lesquelles la philosophie grecque, entre Pythagore et Proclus, n’a cessé de produire les plus beaux fruits, ces dix ou onze siècles ne laissent plus à entreprendre aucune recherche étendue et originale. Il reste à conduire à leur terme les œuvres commencées, et à faire pénétrer en quelques coins obscurs du tableau la lumière qui en éclaire toutes les grandes figures. La traduction de Platon n’attend pour être complète que cinq ou six argumens attardés, dont l’absence serait regrettable. Une œuvre encore plus vaste, la traduction d’Aristote par M. Barthélemy Saint-Hilaire, se poursuit activement. À la Politique, récemment remaniée, et à la Logique sont venus se joindre le Traité de l’Ame et tous ces petits ouvrages de la Sensation, de la Mémoire, du Sommeil et de la Veille, où Aristote semble se préparer à construire ce magnifique monument de l’Histoire des Animaux, qui ravissait Cuvier d’étonnement et d’admiration. Dans sa courageuse entreprise le traducteur d’Aristote a rencontré un habile auxiliaire, M. Egger, qui s’est chargé de la Poétique. Nous en avions un texte déjà excellent, celui d’Immanuel Bekker, que le nouvel éditeur s’est efforcé d’épurer encore : au texte il joint une traduction, à la traduction un commentaire, au commentaire des notes ; enfin, pour donner au lecteur un moyen de s’orienter au milieu de tant de recherches accumulées, il consacre une introduction étendue à l’histoire de la critique chez les Grecs, et répand sur ce curieux sujet les aperçus d’un esprit net, d’une plume diserte et facile, d’une érudition toujours saine et ingénieuse[1].

  1. Ne pouvant signaler que les travaux les plus importans, nous passons sous silence une foule de recherches, de mémoires, de dissertations sur des points particuliers de l’histoire de la philosophie ancienne ; parmi ces travaux utiles, nous distinguerons un travail de M. Denis, de la Théorie de la Raison dans Aristote, remarquable par la force et la justesse du sens critique ; une très savante étude sur la Psychologie d’Aristote, par M. Waddington-Kastus, enfin un essai de M. Janet sur la Dialectique de Platon, où l’élégance du style se joint heureusement à l’élévation de la pensée.