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Mais, si le siècle d’Abélard et de saint Anselme est aujourd’hui bien connu, l’époque classique de la philosophie du moyen-âge, l’époque des Albert-le-Grand, des saint Thomas, des Duns Scot, restait encore dans l’obscurité, et il manquait enfin, même après l’estimable ouvrage de M. Rousselot et les recherches de M. de Caraman, une histoire générale : c’est la tâche que M. Hauréau rient d’accomplir. Arrêtons-nous quelques instans sur ces deux publications importantes, l’Abélard de M. Cousin, l’Histoire de la Scolastique de M. Hauréau.

Abélard a d’autres titres à la gloire que l’éclat romanesque de ses aventures. Son nom est de ceux qui tiennent le premier rang dans l’histoire intellectuelle de notre pays. On a pu l’appeler sans trop d’exagération le Descartes du XIIe siècle. Par la hardiesse de son génie et l’éclatante nouveauté de ses doctrines, il a fondé la philosophie scolastique, mère vénérable et féconde de l’esprit nouveau. Par l’incomparable succès de son enseignement, il a contribué plus qu’aucun autre à faire de l’université de Paris le berceau et le modèle de toutes les universités de l’Europe.

La France a été ingrate pour Abélard ; elle l’est souvent pour ses plus grands hommes. Il y a trente ans, une édition complète de Descartes manquait à notre pays. Son brillant compatriote et prédécesseur a du attendre jusqu’à 1850. C’est en vain que M. Cousin avait adressé, il y a quatorze ans, un éloquent appel à la jeunesse philosophique et s’était écrié : Exoriare aliquis ! personne ne s’était levé. Aussi, dans la préface de l’édition qui vient de paraître, M. Cousin s’étonne et se plaint, avec infiniment de grace et dans un excellent latin qu’on l’oblige, lui, athlète vieillissant et fatigué, de redescendre dans l’arène où de plus jeunes auraient dû le devancer. Nous dirons à M. Cousin que, si la jeunesse est restée sourde à sa voix, il ne doit s’en prendre qu’à lui-même. C’est à lui en effet, au chef de l’école historique, au philosophe qui a attaché son nom à toutes les grandes époques de l’esprit humain en traduisant Platon, en publiant Proclus et Descartes, en retrouvant le vrai Pascal ; c’est bien à M. Cousin qu’il appartenait d’honorer par une édition d’Abélard[1] sa forte et laborieuse maturité. Est-il nécessaire d’insister sur une dernière convenance courtoisement signalée par M. Hamilton ? C’est inutile. Dire que l’éloquent professeur de 1828 est l’homme qui, depuis Abélard, a jeté le plus d’éclat sur l’enseignement

  1. Cette édition complète d’Abélard, où M. Cousin a trouvé comme collaborateurs zélés et capables M. Charles Jourdain et M. Despois, formera trois volumes. Le premier, aujourd’hui publié, contient toutes les pièces qui ont rapport à Héloïse ; le second comprendra les œuvres proprement théologiques, celles qui ont été foudroyées par saint Bernard et condamnées aux conciles de Sens et de Soissons. Restent les œuvres dialectiques et philosophiques qui sont renfermées dans le volume qu’a publié M. Cousin en 1836. En tout, trois volumes de même format in-4o, chez Duraud, rue des Grès, 5.