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pour le bien de votre état, et tout ce que je vous prompts, je suis prêt à. le prouver. Les plus habiles ne m’effraient pas ; je ne redoute aucune comparaison. Que votre altesse daigne me mettre à l’épreuve, et j’ai la ferme confiance qu’elle n’aura pas à s’en repentir. » Certes, une pareille lettre, écrite d’un tel ton, était de nature à exciter la curiosité d’un prince éclairé. Or, si Lodovico Sforza ne s’est montré ni juste, ni généreux envers son neveu Gian-Galeazzo, aucun historien n’a jamais songé à révoquer en doute l’étendue et la finesse de son intelligence. C’est pourquoi, sans m’arrêter à chercher quel a été le médiateur entre Léonard et le duc de Milan, je suis amené à croire que la rondache vendue par ser Piero n’a pas dans la vie de Léonard toute l’importante que Vasari lui attribue.

C’est à cette époque, d’après les calculs d’Amoretti, qui semblent d’ailleurs très probables, que nous devons rapporter la composition d’une ébauche qu’on admire dans la galerie des Offices à Florence. Je veux parler de l’Adoration des Mages. Cette ébauche est d’autant plus digne d’attention, qu’elle permet d’étudier la pensée de Léonard, je ne dirai pas dans sa naissance, car sans nul doute, avant de la transcrire sur la toile, il l’avait long-temps contemplée dans sa conscience ; mais nous pouvons du moins, en étudiant cette composition inachevée, voir comment il préparait sa peinture. Nous pouvons en un mot, pour nous servir de la langue du métier, connaître les dessous de sa peinture. Sous le rapport de la composition proprement dite, cette Adoration des Mages doit se placer parmi les œuvres les plus accomplies de Léonard. La Vierge et le Christ, Joseph et les rois mages sont dessinés avec une rare perfection. Cependant je crois pouvoir, sans me rendre coupable de sacrilège, soumettre à tous ceux qui ont pu voir cette admirable ébauche deux observations que l’étude m’a suggérées. En premier lieu, la forme choisie par Léonard, je veux dire la forme générale de la composition, me paraît présenter de graves inconvéniens. En effet, dans l’Adoration des Mages, la largeur et la hauteur sont équivalentes. Or, pour tous les hommes familiarisés avec l’étude ou la pratique de la peinture, il est évident que cette combinaison est défectueuse. À moins qu’il ne s’agisse d’une peinture murale dont les conditions géométriques ne peuvent être violées ; tout esprit bien fait comprend sans peine la nécessité de choisir une largeur arithmétiquement supérieure à la hauteur, ou de se décider pour le parti contraire. Et, qu’on y prenne garde, cette considération purement arithmétique n’est pas sans importance, car elle repose sur les lois mêmes de la vision. Tout tableau dont les quatre côtés ont la même valeur géométrique trouble et distrait nécessairement l’attention du spectateur. L’esprit le plus bienveillant, l’œil le plus exercé se trouve dérouté en présence d’un tableau carré. Or, l’Adoration des Mages, placée dans la galerie des Offices,