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que cela, il méritait que le ridicule, n’assistât pas a ses funérailles, à moins qu’on n’y voie un trait caractéristique de plus de notre époque, où l’idolâtrie de soi est devenue décidément un motif ordinaire inspiration, et où il n’est point de lettré, pour parler le langage de M. Hugo, qui ne soit occupé à se pétrir un piédestal, fut-ce même avec un peu de terre du tombeau des autres !

Pendant que M. de Balzac mourait ainsi, un autre homme de mérite était atteint du même mal et succombait au même âge : c’est M. Bazin, l’auteur de l’Histoire de Louis XIII, qui partageait depuis long temps avec M. Augustin Thierry le prix décerné par l’Académie aux meilleurs ouvrages sur l’histoire de France. Le nom de M. Bazin n’était point aussi populaire que celui de l’auteur de la Comédie humaine, et cela se conçoit : ses travaux n’étaient point de ceux auxquels s’attache la vogue, la renommée facile. Ses qualités mêmes ne sont point de celles que le vulgaire goûte et qui répondent à l’ardeur d’une curiosité grossière. Bien qu’il appartînt à la même génération littéraire que M. de Balzac, c’était un écrivain d’une tradition bien différente. Il n’avait de notre temps ni la passion du bruit, ni l’amour des apothéoses personnelles, ni les habitudes intellectuelles hasardeuses. Esprit rare, aiguisé et fin, savamment nourri et relevant l’érudition par une grace piquante et par cette aisance aimable qu’on avait autrefois ! Le talent de M. Bazin était véritablement français, dans la vieille acception du mot, par la netteté, par la modération et par cette veine de facile et agréable ironie qui circule dans ses pages sans éclater. Ces qualités, on a pu les apprécier ici même dans ces ingénieuses études que l’auteur consacrait à Molière il y a quelques années, et surtout dans ce délicat et élégant portrait de Bussy-Rabutin[1], où le brillant et caustique gentilhomme revit dans la variété de ses aventures, dans la fleur de son esprit raffiné et mordant. M. Bazin connaissait familièrement cette époque du XVIIe siècle, comme un homme qui a vécu avec elle et qui en a soulevé tous les voiles. Son style, dans les portraits qu’il en a tracés, se ressent de cette familiarité et y a contracté une certaine bonne grace française ; mais c’est surtout dans son Histoire de Louis XIII que M. Bazin a donné la mesure de son talent. L’Histoire de Louis XIII n’a point les mérites si fort recherchés aujourd’hui, la hardiesse des conjectures générales, la bizarrerie imprévue des rapprochemens, la singularité des interprétations, l’excès prétentieux du coloris. C’est un mélange heureux où se retrouvent la netteté du récit, l’exactitude des vues, la fidélité des peintures, la sûreté de l’instinct historique et la facilité attrayante d’un style sans recherche, qui se joue à travers les choses et les hommes. Un des mérites de l’auteur de l’Histoire de Louis XIII, c’est la haine de l’exagération et la liberté qu’il conserve au milieu des scènes historiques qu’il reproduit. Dans cette aisance, il y a bien un art assurément ; ce qui en fait le charme, c’est qu’il se cache et ne laisse voir que la grace d’une érudition variée. M. Bazin avait écrit un livre qui n’est ni un roman ni une histoire, qui est une série d’esquisses sur les mœurs de notre temps : c’est l’Epoque sans nom ! N’est-ce point là en effet la véritable désignation de toute période révolutionnaire ? Celle que décrivait M. Bazin, c’est celle qui avait suivi

  1. Voyez les livraisons de la Reue des 15 juillet 1842, 15 juillet 1847 et 15 janvier 1848.